Sans même se présenter, elle nous dévoile un plan pittoresque et coloré; tantôt un champ de lavandes, tantôt un pré plein de jonquilles. Là-dessus s'élève une voix, provenant probablement d'une radio ou d'une télévision, relatant les dernières nouvelles. De mauvaises nouvelles, cependant: on nous apprend que la pollution atteint des pics, que les prix grimpent, que les secteurs industriels et agricoles sont en crise. En crise. Voilà déjà parfaitement résumé le monde dans lequel on est brutalement introduit; en crise à tel point que la première scène du premier épisode nous dévoile l'interrogatoire plutôt brutal et inhabituel d'un kiosquier, scène à laquelle succède un sinistre et fluorescent écran qui nous annonce enfin le titre de la série: Utopia.
Plus tard, on fera ainsi la rencontre, dans ce monde désenchanté, de quatre personnes qui, pour paraphraser SensCritique, "se retrouvent en possession d'un mystérieux manuscrit": la bande-dessinée Utopia. Un synopsis qui ne laisse pas indifférent, tant par son originalité que par la curiosité qu'il suscite: que peut bien renfermer cette oeuvre si convoitée ? On se pose rapidement d'autant plus cette question que les morts se mettent vite à pleuvoir, introduisant d'entrée de jeu l'un des thèmes les plus récurrents de Utopia: la violence.
Non que ce soit une série sur la violence, ça non. Mais 80% des personnages de la série s’avéreront être des machines sans véritable conscience, tuant sur un simple ordre ou pire, par simple précaution. Utopia se révèle rapidement être un récit manichéen: un camp en poursuit un autre, pour récupérer cette fameuse bande-dessinée. Pourquoi ? On ne sait pas. Et c'est tout ce qui peut maintenir en haleine dans les premiers épisodes de la première saison: l'incompréhension que l'on peut avoir par rapport à la situation des quatre personnages qui, à partir du moment où ils acquièrent la bande-dessinée, se voient poursuivis, et leurs proches persécutés sans autre forme de procès. On ressent alors forcément une certaine forme d'empathie envers eux, empathie renforcée par la violence caractéristique des poursuivants.
Mais heureusement, dans Utopia, il y a la forme. Il y a ces magnifiques plans, qui ne sautent cependant pas tout de suite aux yeux, de paysages urbains ou ruraux, dont les couleurs sont rendues fluorescentes, ou encore même de simples éléments utilisés par les personnages, tel que le sac jaune utilisé par les "méchants". Tout, dès les premiers épisodes, transpire l'atypique (et non pas l'utopique, ha ha), que ce soit ce renforcement des couleurs (le sang devient rose, le ciel trop bleu, l'herbe trop verte), cette esthétique si particulière, cette musique synthétique qui souligne si bien l'ambiance variable de la série (inquiétante dans les moments calmes, vive dans les moments plus violents, ou tout simplement au générique de fin), ou encore les personnages.
Mais qui est cet homme à la démarche si étrange, à l'air absent, qui ne semble connaître qu'une seule question: "Where is Jessica Hyde ?" On serait tenté de lui répondre: "In the kitchen", mais connaissant la série, on sait à quel point ce genre d'impertinence serait dangereuse. Ce personnage, Arby ou Pietre, suivant l'avancement de la série, fait en effet partie des poursuivants, qui sont eux-même engagés par le Network, un organisme international très puissant qui cherche à récupérer la bande-dessinée, qui pourrait les aider à réaliser leur but: stériliser la population par le biais d'un vaccin, pour réduire considérablement la population sur Terre, et remédier à ces crises dont on a entendu parler dès l'introduction du premier épisode. Arby est donc le parfait exemple des sbires de cette firme qui apparaîtront au fur et à mesure de la série: des personnages vides mais complexes et torturés. Ce n'est cependant que dans la saison 2 que sont véritablement explorés les personnages du Network.
J'aime beaucoup Rose Leslie, autant physiquement que par son jeu d'actrice, mais je n'ai pas réellement compris l'intérêt du premier épisode de la saison 2, un épisode flashback. Je comprends qu'il permet d'introduire Philipp Carvel et de davantage cerner Milner, mais je trouve tout de même cela léger...
Milner, bien sûr n'en est pas moins intéressante, autant jeune que vieille, notamment dans l'ambiguïté un peu raciste qu'elle partage avec Philipp Carvel (sauver uniquement les Roms haha, ça m'a bien fait rire ce racisme inversé). J'ai néanmoins trouvé que Leah n'était pas très approfondie. Heureusement, dans la saison 2, Wilson apporte un quota badass non négligeable. S'il y avait une saison 3, je la regarderais juste pour lui en "méchant".
Au niveau des personnages plus "gentils", c'est pas inintéressant non plus. Wilson, dans la saison 1, permet d'apporter une certaine nuance à la trop bonne volonté du groupe; Grant, également, à travers ses crises d'ado, amène, en plus de quelques touches d'humour (noir), une certaine nuance. Pour parler de Becky et de Ian, j'ai trouvé qu'ils ne tombaient jamais dans la caricature.
Même si du coup, la qualité de leurs personnages respectifs tombe parfois excessivement dans cette histoire d'amour qu'ils ne parviennent jamais vraiment à construire. Mais cette histoire est travaillée et vraisemblable, alors je leur pardonne.
Au final, les personnages sont à l'image de l'esthétique, de la musique et de la réalisation du film: travaillés, originaux et cohérents par rapport à l'identité de la série. Ce que je lui reproche véritablement, au final, ce sont deux choses: son scénario, ou plutôt le dosage, le rythme que Dennis Kelly, le réalisateur, lui insuffle. Il m'a en effet fallu bien quatre ou cinq épisodes avant d'entrer véritablement dans cet univers qui après tout n'est pas ouvert à tous de par son excentricité. Par ailleurs, ce problème de dosage se retrouve dans le suspens, plutôt mal géré: j'ai regardé la série à intervalles d'un épisode par semaine, et pourtant je n'ai ressenti l'envie de poursuivre qu'à l'occasion d'un ou deux épisodes.
Le deuxième point, c'est surtout le fond, le côté eugéniste qu'aborde la série. Je pense que c'est un débat qui est presque sans fin, mais en tout cas pas sans intérêt, et qu'en touchant à ça Utopia devrait bien plus exploiter le filon de cette réflexion. Par le biais du personnage de Wilson certes, une base de questionnement est lancée, qui incite le spectateur à choisir son camp d'une certaine façon. Car on a beau (et c'est plus que jamais d'actualité, alors que sort Avengers 2) imaginer des superhéros vertueux et justes dans leurs actes, il ne faut pas oublier que de vrais héros auraient davantage tendance à suivre les thèses du Network plutôt que celles des "gentils", s'ils étaient vraiment voués à servir l'humanité. Est-ce que c'est vraiment juste de penser comme ceci ? Faut-il sacrifier de telles masses de population, juste pour sauvegarder une espèce qui finira, de toute façon, bien par s'éteindre ? Je pense qu'il y avait mieux à faire que de poser des protagonistes qui ne se remettent presque jamais en question.
Ne sachant quoi choisir en 7 et 8 sur 10, je me suis dis que je parviendrais sûrement à m'auto-convaincre en rédigeant ma critique, comme ça m'est déjà arrivé. Eh bien non, pas cette fois. Je pense que je vais couper la poire en deux: je reste sur un 7, mais disons que c'est un coup de coeur; je regrette tout de même que la série ait été annulé, ayant un beau potentiel, au niveau du fond, de la réalisation et des personnages.
D'ailleurs, mon coup de coeur n'est pas si factice que ça, puisque je vous incite vraiment à aller voir du côté de ces douze épisodes plutôt sympathiques.