Vernon Subutex
6.1
Vernon Subutex

Série Canal+ (2019)

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   Je suis fan des romans et de Virginie Despentes en général. Faire une série de Vernon Subutex ? Une chose à pas faire, je pense, d'autant que dans le livre, il est question de faire une série et que ce n'est pas une bonne idée. Bon, elle est là, j'ai regardé par curiosité.

Eh ben moi, ça m'a plu.


   Le temps filmique n'est pas celui de la lecture. Ici, il paraît très court, on passe une nuit chez l'une ou chez l'autre alors que Vernon passe parfois plusieurs semaines dans chaque relation. Mais quand on a aimé lire ces personnages-là, on les retrouve. J'ai adoré voir Olga, c'est dommage qu'on ne la voie pas plus . Mais la réalisatrice sait utiliser ce qu'elle a et, en une séquence, tout son dynamisme et son humour rejaillissent de la lecture passée. 
L'adaptation n'est pas super fidèle, ce n'est pas le but. L'esprit et l'ambiance sont là : le Paris de la fête des années 90, la musique, le talent de Vernon pour trouver la chanson qui correspond à une personne… Spéciale dédicace au personnage de Kiko, trop éphémère dans la série mais sa complexité et sa folie apparaissent clairement. Dans l'épisode six, il y a une superbe scène de Vernon et Kiko dans la fête. Kiko est dubitatif mais impressionné par les enchaînement de chansons de Subutex, que ce soit leur fluidité rythmique ou l'audace de choix de chanson que personne n'oserait mettre à la suite dans une soirée. Kiko a une culture musicale et le livre insiste beaucoup sur les artistes que Vernon diffuse. Cette scène est fabuleuse car l'enchaînement est rythmiquement balèze et la transe festive de la soirée animée par Vernon (avec les « sons alpha ») bien retranscrit. Mais est-ce qu'un non-lecteur comprend ce qui subjugue Kiko quand il tend l'oreille l'air suspicieux ? Pas sûr. C'est pourquoi je pense qu'il y a une nécessité d'avoir lu le livre pour apprécier à sa juste valeur le travail d'adaptation. Pour un lecteur, cette séquence est une réussite.
Mais la palme, c'est la direction d'acteurs. Dans le livre, de longs passages décrivent des personnages selon leur point de vue. Ils sont tous différents et l'histoire de Vernon va les rassembler (c'est ça la magie que tente de faire vivre le livre, une réunion de gens normalement incompatibles). Tous sont criants d'une personnalité marquée malgré ce temps filmique très court. Je n'aime pas mettre des visages sur des personnages que j'ai aimé lire, et pourtant, c'est bien ceux que j'ai lus que j'ai vus dans la série. C'est plus facile avec les acteurs qu'on n'a jamais vus. Despentes essayant de faire vivre des anonymes, on n'a pas envie de voir un bankable s'approprier un anonyme. Alors Céline Salette, que j'aime beaucoup, il m'a fallu un peu de temps, mais nul doute après quelques minutes que, non seulement elle joue très bien, mais elle a compris du personnage la même chose que moi; ce qu'elle rajoute ne fait pas tâche. Philippe Rebbot, que je n'avais pas vu aussi bien depuis sa révélation DONDE ESTA KIM BASINGER ?, avale un peu du personnage de Xavier pour faire du Philippe Rebbot. Alcoolisme qui s'ignore et frustration professionnelle sympathique, c'est pas évident à retranscrire, Philippe Rebbot s'y implique personnellement et ça prend. Pour les autres aussi, je revis la rencontre. Le respect factuel importe peu, la série l'affirme: ce qu'elle aime, comme Virginie, c'est les gens.
Bon mais quand même, Romain Duris en Vernon Subutex ? Un peu facile, déjà, et puis je n'ai vraiment pas envie d'une tête aussi connue pour un anonyme qui devient quasi mystique malgré lui. Mais finalement… Vernon Subutex, c'est totalement Tomasi (du PERIL JEUNE) ! C'est comme ça qu'il le joue, physiquement et dans sa diction. Donc pas mal. Et puis Duris dans ce rôle, est modeste. Il ne confisque pas Vernon, il l'évoque. Et dans les creux, là où chacun mettait son interprétation, il met Romain Duris, celui que j'aime bien chez Cédric Klapische (sauf PARIS, mon Dieu, ne me parlez pas de ce film), celui qui me fait marrer et qui me charme. Mais il ne confisque pas. Il ne dit pas « je suis Vernon », il est Romain Duris, qui se lance le défi de jouer Vernon en lui laissant toute la place qu'il peut. Et Vernon vit chez lui, à plein de moments.
Pareil pour Laurent Lucas. Dopalet n'avait pas cette tête lors de ma lecture, mais l'exubérance de Laurent Lucas efface tout ce qui pourrait coincer physiquement et nous offre une ordure jouissive.
Sylvie est un peu excessive. Ce qui est passager dans le livre, les crises d'une femme névrosée, devient des sautes d'humeur soudaines, d'une seconde à l'autre et Sylvie est alors clairement un cas psychiatrique. Mais ça va, ça fait le boulot, grâce au choix d'une tonalité comique dans la mise en scène de ces crises.
Je regrette en revanche la présence Patrick. Ce type un peu bourru, qui bat sa femme par manque de contrôle et s'en veut, pour qui Virginie Despentes nous provoque l'empathie. J'en ai peut-être oublié d'autres, en tout cas, Patrick m'avait marqué, et c'est peut-être là qu'il y a un souci. Il y a là un choix un peu consensuel. Comme si on n'avait pas voulu prendre le risque dans une série de nous faire aimer un type qui bat sa femme (et qui vit à Evry ! en banlieue ! sur le RER D !). L'audace aurait été appréciable et je suis sûr que cette équipe aurait trouvé le comédien parfait, comme pour les autres personnages. Ce côté « safe », il se voit aussi dans les évocations de Vodka Satana, qui veut absolument sortir du milieu du porno, comme si c'était de la prostitution malsaine. Despentes n'est pas abolitionniste, loin de là, et ce personnage avant d'en arriver là est décrit plus longuement. Le milieu du porno ici est passé sous silence ou presque. De même, l'arrivée de Subutex à la rue est un événement tragique, alors que chez Despentes, c'est un truc qui arrive, qui arrive souvent, et à tout le monde. Elle ne s'apitoie pas sur son personnage, il y a beaucoup plus de distance dans sa description de la rue. De même, les personnages « professionnels de la rue » sont très vivants, respectueux de l'esprit du livre, mais ils n'ont pas de place. Lorsque Olga arrive dans la vie de Vernon, elle y reste longtemps, il l'admire, il s'accroche à elle. Ici, c'est deux ou trois séquences très vivantes et bienveillantes envers elle, mais c'est trop peu pour Olga. Dans la série, les habitants des bancs sont trop éphémères, comme s'il ne fallait pas non plus les valoriser. Avec ça, le côté anti-social de Despentes, ou plutôt son amour pour les anti-sociaux, est tout-de-même lissé voire écarté. Il ne faudrait pas froisser nos a priori sur les clochards. Dommage, un tantinet de politique n'aurait pas fait de mal. Il y a là une petite lâcheté, qui doit venir je pense de la production (on est chez Canal +, n'oublions pas, c'est pas non plus le fleuron de l'indépendance des artistes ni de la lutte syndicale).
L'ambiance est bien là, grâce aussi aux lieux, ce Paris du nord-est, que j'ai fréquenté et qui est décrit dans les livres. Ces lieux sont bien sûr respectés (les bars et cafés, le coin des Buttes-Chaumont, et bien sûr le métro…), pour un réalisme essentiel et notre plaisir.
Les artifices de mise en scène, comme les ralentis en musique, sont utilisés avec parcimonie, parfois à très bon escient et dans le respect (obligé) des play-lists du livre.
Je ne sais pas si c'est une bonne série. J'ai été très pris par certaines séquences, j'ai aimé rencontré ces personnages, ils m'ont charmés, mais rien n'aurait été possible sans ma lecture préalable des livres. La série a-t-elle été pensée pour les lecteurs ? Si c'est le cas, je suis une cible atteinte. (Sous réserve de la suite)
Pequignon
8
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le 19 août 2019

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Pequignon

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