On le voit bien avec cette série, ce n'est pas à la nouveauté du sujet que l'on juge l'originalité d'une fiction. Les robots humanoïdes qui découvrent derrière leur humanité apparente la présence insoupçonnée d'un squelette fait d'or et de fer et décident d'entrer en rébellion contre leur créateur, cela n'a rien de très exceptionnel au cinéma (parmi les classiques on pense évidemment à Blade runner dont s'inspire la série) ou même dans la littérature en général. De même, cette idée quelque peu paradoxale selon laquelle les "hôtes" mécanisés feraient preuve de bien plus d'humanité que ces "visiteurs" qui s'adonnent à leurs pulsions charnelles les plus latentes n'est finalement pas l'essentiel de la trame. D'ailleurs, ce motif n'a rien d'implicite puisque le but de la société à l'origine de ce parc d'attraction est bien de complexifier leurs machines pour les rendre plus humaines. Ce qui attise les passions des clients, c'est précisément ce sentiment étrange qui naît à la vue d'un être qui est présenté comme un pur mécanisme mais qui, de par ses faits et gestes, nous conduit pourtant à douter de sa "machinité".
Derrière ce sujet et ces leviers psychologiques qui incitent sans aucun doute le spectateur à s'intéresser à cette série, c'est, à mon sens, le traitement du sujet qui bouscule nos attentes. Sans parler de la sublime bande originale de cette première saison qui est composée par un auteur ayant déjà fait ses preuves avec l'autre grande série d'HBO (Ramin Djawadi), ni de la technicité mise en oeuvre, c'est peut-être la progression de l'action qui suscite l'intérêt. En effet, la particularité de cette série tient à ce qu'elle avance à reculons. Jonathan Nolan avait déjà élaboré ce type de scénario lors du film Memento qu'il a coécrit avec son frère, Christopher Nolan et, ici, cette forme prend tout son sens. Tout comme les androïdes parviennent à un état de conscience à force de répétition, c'est-à-dire à mesure que leur mémoire se structure et intensifie son contenu par l'habitude, la compréhension de la série par le spectateur se passe de toute linéarité. À chaque nouvel épisode, c'est la même musique qui revient, le même scénario qui se déroule, et puis, progressivement, on comprend que, loin d'être les mêmes scènes, les mêmes acteurs et les mêmes lieux, l'histoire avance jusqu'au dénouement (partiel à l'issue de cette première saison) :
la mise à mort du créateur et la sortie du monde fictif (ce qui peut, en un sens, se traduire par l'accès à la réalité ou la "conscience").
Au fond, l'image du labyrinthe illustre parfaitement cette série puisque, si les différents "chemins" qui nous sont montrés se confondent en ce qu'ils semblent ne mener nulle part, il existe pourtant une issue ou, plus exactement, une échappatoire.
Quelle serait alors la "morale" de cette fiction labyrinthique ?
- La première réponse consisterait à dire que la sortie du labyrinthe ne peut être trouvée qu'en recommençant indéfiniment le même chemin (en "persévérant"). Si les hôtes en viennent à se souvenir de leurs précédents scénarii ou même de leurs réparateurs, c'est parce que l'habitude dépasse la simple faculté mémorielle (il y aurait une mémoire des sens et du corps au-delà de la simple faculté intellectuelle).
- Mais, d'un autre côté, les hôtes qui progressent vers la conscience (et donc vers la sortie du monde fictif) sont ceux qui vont jusqu'au bout de leur scénario, au point de dépasser les limites fixées par leurs créateurs et de finir par improviser (Dolores). Au lieu de recommencer indéfiniment le même chemin, il faut plutôt éviter de revenir en arrière et continuer dans une direction pour "arriver au moins quelque part" (morale cartésienne).
- Cependant, deux réserves peuvent alors être émises. Tout d'abord, on peut rétorquer à cela que d'autres personnages deviennent conscients de la réalité (d'un autre monde que le leur) non pas en prolongeant un même scénario mais en provocant sa répétition (Maeve). Une autre manière de sortir du labyrinthe serait de savoir qui nous a mis dedans, non pas trouver la sortie mais entrevoir l'entrée. De plus, le personnage qui va jusqu'au bout de son scénario (Dolores) n'improvise pas véritablement puisqu'on apprend que c'est en réalité son principal créateur (Arnold) qui la guide depuis le début. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que ce personnage dévie de sa trajectoire initiale, même s'il n'en a pas conscience en premier lieu.
J'opterai donc plutôt pour un questionnement sur la notion de liberté, inséparable de celle de création qui nous renvoie peut-être toujours aux vieux débats de la tradition judéo-chrétienne. Après tout, les androïdes issus de la main de l'homme-dieu sont-ils déterminés à agir mécaniquement ou sont-ils libres ? Personnellement, même si l'ensemble de la saison nous pousse à choisir la seconde solution en nous montrant la part d'improvisation dont est capable un robot, le dénouement où un personnage accomplit la volonté de son créateur et où un autre se trouve incapable de s'échapper du parc me laisse penser que la première solution apparaît comme plus probante. Et, étant donné l'analogie sous-jacente entre Dieu/homme créateur et hommes déterminés/robots, la morale de cette série reviendrait alors à dire que l'humanité se définit moins par sa liberté que par une sorte de déterminisme ...