Il faut s’imaginer un parc et, dans ce parc, des robots enchaînés. La vie, la vraie, qui s’écoule en dehors de cet univers fantoche, ne leur est accessible qu’aux travers de ceux qui s’en repaissent : les « guest », qui leur en offrent le pire visage (les sept pêchers capitaux y passent tous dans l’allégresse), et les créateurs, qui la leur camouflent derrière d’habiles fumisteries. Selon Jean-Paul, les premiers y viennent la mépriser pour mieux en jouir, les seconds, selon Epicure, s’en gardent pour mieux la dissimuler.
L’objectif du nouveau blockbuster télévisuel de HBO était évidemment de mettre en abîme la propre condition de l’homme à travers celle des robots. Un questionnement existentiel devenu aujourd’hui presque obligatoire dans une superproduction digne de ce nom (à la télévision comme au cinéma d’ailleurs). Quête sincère de sens dans une société en perte de spiritualité ou simple argument de vente, nous dirons seulement que la grandiose et chaotique série Lost a engendré des bâtards un peu partout. Non pas qu’elle racolait ou taillait
des pipes comme le fait Westworld, juste qu’elle avait su mettre, en son temps, dix ans dans la vue de ces homologues. D’où l’éclosion, depuis ces dernières années, d’une chiée d’ersatz fraichement surannées (un comble), larcin inhérent au succès... La rançon de la gloire peut donc tout à fait être capitalisable.
Une décennie plus tard, qu’en reste-t-il ? Réponse : une vieille pute édentée. Celle qui nous transporta jadis dans la série du futur en a pris tellement dans la bouche qu’elle se contente aujourd’hui d’aspirer à la paille le fruit de ses entrailles et de le recracher. Une double digestion capable de transformer la plus gouleyante des pitances en bouillie insipide. Ce que je reproche là à Westworld, en plus d’aguicher effrontément le spectateur avec son casting quatre étoiles, ses producteurs renommés, son cahier des charges abrutisant et son générique chiadé, c’est de rétropédaler, comme si son illustre prédécesseur n’avait jamais existé. L’ambition n’a jamais était une tare, bien au contraire. Suivre la trace des géants a souvent conduit, sinon à l’allonger, à en créer de nouvelles. Encore faut-il en avoir les moyens.
Adapter l’allégorie de la caverne n’a jamais été une mauvaise idée en soit. Au contraire. Il faut cependant être sûr de l’avoir préalablement compris et de pouvoir la restituer, voire la reformuler, de manière cohérente. Autrement dit, de boucler la boucle : les robots de la série sont-ils les humains qui les regardent devant leur écran ? La question est excellente et méritait d’être posée. Après tout, sans sombrer dans des considérations complotistes, trumanshowistes ou raëliennes, pourquoi ne serions-nous pas, nous-mêmes, dupés par une quelconque forme de conscience supérieure ? D’ailleurs, en avons-nous même seulement une ? Le questionnement, malheureusement (c’était bien essayé), s’arrête ici puisque l’on est nous-mêmes, humains, en train de regarder une série, faite par d’autres humains… Et en ne proposant pas d’équivalent chez les robots, les scénaristes ont mis tout l’édifice en porte-à-faux. Pour que l’allégorie fonctionne, et donc que l’identification aux robots réussisse, il eut en effet fallut montrer une œuvre, une idée originale, issue de l’esprit d’un robot. Hélas, les seules dont nous disposons sont un dessin qu’on apprend plus tard n’être qu’une carte, et des peintures émanant d’une machine programmer pour peindre. C’est ballot. Tous ces millions jetés par la fenêtre du divertissement décérébré. Ajouter à cela une propension à « twister » tous les quarts d’heure et à donner dans l’esbroufe pour contenter le badaud (du sexe et du sang, qu’il en soit ainsi), ainsi qu’une réflexion bâclée sur l’intelligence artificielle et vous obtenez la série la plus surestimée de l’année 2016.