Years and Years
7.7
Years and Years

Série BBC One (2019)

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L’écriture inclusive c’est bien. L’écriture intelligente c’est mieux.

Si je vous dis « série anglaise. »
« Regard sur la société de demain »
« Réflexion sur l’impact des nouvelles technologies. »
« Dystopie. »
Vous me répondez quoi ?


Allez… Avouez…
Vous avez envie de répondre « Black Mirror » hein ?
Alors n’ayez pas peur de le dire car au fond vous avez bien raison !
Parce que, franchement, si vous voulez voir une série anglaise qui fait de la bonne dystopie et qui porte un regard réfléchi sur l’impact des nouvelles technologies, alors regardez vraiment « Black Mirror » et surtout laissez de côté cette famélique « Years and Years ».


Alors OK, ce n’est peut-être pas très fair-play d’imposer d’entrée une comparaison pareille entre ces deux séries car, après tout, on peut très bien être une série dystopique anglaise sans avoir à subir l’ombre de Charlie Brooker.
Seulement voilà cette comparaison ce n’est pas moi qui cherche à la faire, mais c’est bien « Years and Years » qui nous l’impose.
De l’esthétique aux thématiques abordées en passant par le ton qu’elle essaye de singer, « Years and Years » s’inspire ouvertement de « Black Mirror », quand-bien même n’en a-t-elle pas saisi l’essence.


Et c’est dommage…
Parce que moi, dans l’idée, cette « Years and Years », je trouvais qu’elle avait un postulat de départ qui était loin d’être inintéressant.
Prendre le monde aujourd’hui et se projeter dans les années puis décennies à venir. Se projeter pour observer. Observer pour réfléchir…
Moi, ce projet-là, je le signe des deux mains.


Seulement voilà, pour satisfaire pareille promesse, encore faut-il avoir les qualités de base qui vous permettent de faire de la bonne anticipation, voire même tout simplement de la bonne série. Et avant même de questionner les habilités du technicien et de l’artiste, il convient de questionner le regard de l’auteur qui observe et qui réfléchit.
Or, sur ces points là, ces quelques six épisodes de « Years and Years » nous fournissent un bilan assez terrible. Un bilan qui nous dit à quel point l’auteur de cette série – Russel T. Davies – semble avoir de véritables carences intellectuelles.


Car oui – je vous le dis – c’est vraiment très triste de voir comment un esprit simple imagine l’avenir.
On nous fait exploser une bombe atomique un peu sans raison dès le premier épisode et pourtant, dès l’épisode suivant, on semble ne rien vouloir en faire.
D’ailleurs, après ça, la scène internationale devient désespérément absente de cette série.
On se contentera juste de montrer comment les vilains populismes montent vilainement dans tous les pays Europe ; vilains populismes dont la priorité centrale semble visiblement de s’en prendre aux homosexuels. Car oui, spectateurs, tremblez ! Voilà la menace principale qui est en train de fondre sur nous : celle de réacs pas sympas prêts à s’en prendre à nous, les tou•t•e•s gentil•le•s !


Bah oui…
C’est qu’au lieu de vraiment parler de politique-fiction ou de société de demain, « Years and Years » passe son temps à vérifier qu’elle a bien coché toutes les cases de l’inclusion et de l’intersectionnalité.
Ainsi retrouvera-t-on au sein de la famille Lyons : un couple interracial, une femme handicapée, un couple homosexuel masculin, un couple homosexuel féminin (...et interracial ! Double-check !), deux gamines métisses et un enfant engendré par don de sperme… qui se révèlera également être asiatique ! (Combo !)
Autant de détails dont on pourrait se foutre royalement mais visiblement la série n’a que ça à nous proposer donc elle s’étale sur tous ces détails en long en large et en travers, n’oubliant pas de bien normaliser et standardiser tout le monde, multipliant les discours qui nous expliquent que c’est cool d’être handicapée, qu’un couple gay c’est vraiment tout pareil qu’un couple hétéro normalisé et que tromper une femme noire avec une femme blanche, quand on est blanc, eh bien ça se fait vraiment trop pas !
(Attendez, j’ai dû me tromper pour le dernier cas… Ah non, c’est bien ça : Bethany, dans l’épisode 4, est bien écœurée du fait que son père ait trompée sa mère avec une blanche ! D’ailleurs, Steven – ce sale hétéro-cis-blanc-endoracial – est chassé de la maison familiale pour ce crime envers la diversité ! De la dystopie vous disais-je…)


Donc, quand il s’agit de nous présenter par le menu les histoires d’amour lymphatiques de tout ce petit monde, les petites couettes très gender fluid du petit dernier de la famille ou bien de nous faire le drama que constituent les infidélités de Steven, il y a du monde dans « Years and Years » ! Par contre, quand il s’agit de nous parler de politique, des problématiques sociales et de montée des populismes, là soudainement on sombre dans le conte pour enfants terriblement pauvre et simplifié.
Ainsi le populisme, dans « Years and Years », c’est juste une députée que la télé affiche régulièrement et que les gens finissent pas aimer bêtement. Bien sûr, Russell Davies a tellement peur qu’on ne comprenne pas qu’il s’agit là d’un personnage nauséabond, qu’il ne rate jamais une occasion de rajouter des commentaires aussi construits que : « mais elle nous raconte n’importe quoi ! », « mais en fait elle ne propose rien ! »
Du high level vous disais-je…
Et le pire c’est que cette farce s’étire laborieusement sur six épisodes pour se conclure en plus avec le pire point Godwin de l’histoire des séries !


Des camps de concentration !


Ça sort presque de nulle part.
C’est totalement gratuit.
Et c’est passablement ridicule.


Le dernier épisode représente d’ailleurs à lui seul un climax assez navrant du manque cruel d’intelligence et de subtilité de cette série.


Après s’être bouffé la très longue tirade de mamie qui nous délivre la morale de ce grand conte pour enfants (une morale qui pourrait se résumer par « tout ça c’est de votre faute les millenials alors que nous, les générations d’avant, on s’en lave les mains. »), on assiste à une sorte d’happy end improbable où soudainement le méchant système des vilains camps de concentration de la nauséabonde Vivianne Rook tombe grâce à quelques vidéos diffusées un peu partout. Et là ça résout tout ! Avant les gens se contentaient de grogner sans rien faire, mais là, les gens vont se mettre à grogner sans rien faire, et ça va faire que la police va arrêter la vilaine Première ministre. C’est magique !


Cette seule fin, c’est juste une farce.
D’un simple revers de la main, la série balaye tout ce qu’elle a cherché à mettre en place depuis six épisodes.


A la fin, les gentils gagnent. La technologie c’est choupi. Tous les problèmes évoqués précédemment semblent avoir disparus. Youpi ! Vive la dystopie !


Alors OK, qu’on veuille glisser ça et là sa petite came inclusive histoire de se faire bien voir du petit gratin, passe encore. Mais qu’on oublie derrière de raconter une histoire et de creuser un sujet – et cela durant six longs épisodes – ça, par contre, c’est navrant.
Pire, ç’en est même carrément flippant.
Parce qu’au fond, « Years and Years » a ceci de dystopique que la vraie menace qu’elle annonce ne se trouve pas devant la caméra mais derrière.
Car voilà de quoi l’avenir sera fait : il sera fait de gens comme Russell Davies ; c’est-à-dire des gens qui passent leur temps à choisir leurs acteurs avec des nuanciers de couleurs tandis que pendant ce temps là leur bouquin « la politique pour les nuls » prend la poussière au beau milieu d'une bibliothèque qui s'est transformée depuis en range-woks.


Je ne sais pas vous, mais moi, dans toute cette histoire, c’est bien ça que je trouve le plus flippant…

Créée

le 11 mars 2020

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