La Maison des bois
8.5
La Maison des bois

Série ORTF (1971)

Voir la série

Pialat était peintre de formation et, comme on l'a souvent dit, cela se ressent dans son œuvre. En regardant « La maison des bois », on a effectivement l'impression d'être devant une succession de tableaux, tantôt intimistes, tantôt vastes, sachant représenter aussi bien la vie quotidienne d'un village français que les grands bouleversements d'un pays entier. Parmi ces « séquences-toiles », on peut citer un particulier celle de la sortie familiale dans la nature (dans le troisième épisode), flamboyante, euphorique et sereine, sans doute l'un des moments de joie et de bonheurs les plus vrais et les plus intenses que le cinéma ne nous ait jamais fait partager – car devant une œuvre d'une telle ampleur, d'une telle grandeur, fût-elle un simple feuilleton, on est bien obligé de parler de cinéma.

On pourrait d'ailleurs se demander où se situe le cinéma dans cette œuvre tutoyant le pictural. En fait, l'une de ses principales fonctions est d'orienter le regard, de s'attarder sur un élément particulier de chaque tableau : l'utilisation répétée que fait Pialat du zoom avant prend alors tout son sens. Car, si l'on peut dire, ici les scènes ne se construisent pas – on passe allègrement d'un tableau à un autre. À chaque nouvelle scène, c'est comme si l'on trouvait devant une toile déjà achevée, comme si le film et son récit échappaient constamment à la fatalité de leur forme – ici les codes de narration sont rarement respectés : la succession de tableaux est aussi bien une succession de blocs temporels compacts, autant de moments forts et authentiques qui suffisent à assurer l'intérêt de l'histoire. Le cinéma trouve alors sa force dans le pouvoir de scruter ces images, d'en souligner certains éléments – un enfant qui sourit, un soldat français près de la dépouille d'un soldat allemand.

Il est d'ailleurs intéressant de voir le rôle que joue le zoom dans le rapport du cinéma à la peinture : par exemple dans un autre film à l'ampleur picturale certaine, « Barry Lyndon », la réalisateur emploie souvent le zoom arrière, comme pour se centrer sur un élément et le situer ensuite dans un décor figé. En somme l'inverse de chez Pialat, où l'on a d'abord une vue d'ensemble sur un tableau souvent chaleureux et vivant pour s'attarder sur un détail et lui donner une existence à part entière, presque indépendamment du décor dans lequel il se situe. Et, plus particulièrement, chaque personnage existe.

C'est d'ailleurs l'un des personnages qui va faire office de lien entre les différents tableaux, devenant une sorte de vecteur directeur du récit : il s'agit bien entendu du protagoniste du film, le jeune Hervé. Incarnant pleinement l'enfance – dans toute sa vitalité et sa spontaneïté, mais aussi dans toute sa mélancolie et sa fausse insousciance –, il semble orienter l'histoire au gré de ses échappées, passant d'un tableau à l'autre comme bon lui semble (dans le dernier épisode, la fugue de Paris pour retrouver la campagne se fait en un clin d'œil). En poursuivant notre métaphore mathématique, on pourrait également parler de vecteur unitaire, puisque c'est comme à partir de lui que d'autres personnages importants gagnent toute leur dimension : on peut en particulier citer le marquis – qui trouve en Hervé un miroir où résonne sa solitude désespérée, et « Maman Jeanne » – qui incarne plus que jamais la Mère par sa relation avec Hervé (la fugue finale serait alors une tentative de quitter la ville paternelle pour retrouver la nature maternelle – mais ce n'est bien sûr qu'une simple interprétation parmi toutes celles qu'offre la richesse du récit).

Ainsi lorsque Pialat rapproche le cinéma du pictural, ce n'est jamais dans l'intention de figer son œuvre – mais au contraire dans celle d'offrir un film vibrant, constitué uniquement de fragments de vies bruts. « Le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde » disait Godard. Devant « La maison des bois », on a plutôt l'impression que la vérité n'apparaît qu'une fois par seconde – mais qu'elle la remplit complètement.
Trelkovsky-
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste

Créée

le 1 mai 2013

Critique lue 1.1K fois

19 j'aime

Trelkovsky-

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

19

D'autres avis sur La Maison des bois

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

30 j'aime

4

La Maison des bois
Trelkovsky-
10

Grandeur nature

Pialat était peintre de formation et, comme on l'a souvent dit, cela se ressent dans son œuvre. En regardant « La maison des bois », on a effectivement l'impression d'être devant une succession de...

le 1 mai 2013

19 j'aime

La Maison des bois
Plume231
9

La hache de guerre est définitivement enterrée... !!!

A l'exception notable de "Nous ne vieillirons pas ensemble", le cinéma de Maurice Pialat et moi ça fait deux. Je sais que je vais commettre un sacrilège cinéphile mais pour moi, sous prétexte de...

le 18 oct. 2015

17 j'aime

8

Du même critique

Pornography
Trelkovsky-
10

Idées noires

Entre 1980 et 1982, le parcours des Cure s'est avéré être d'une cohérence totale : après avoir mis en place une pop introspective extrêmement fine avec Seventeen Seconds, le son curien semble...

le 30 déc. 2013

36 j'aime

4

Django Unchained
Trelkovsky-
5

À tout vouloir justifier ... (spoilers)

Depuis quelques films déjà, Tarantino a comme un besoin de légitimer la violence qu'il filme. Bien sûr, dans les grandiloquents « Kill Bill », l'histoire de vengeance n'était qu'un simple...

le 26 mai 2013

33 j'aime

7

Le Tableau
Trelkovsky-
3

Pour être comme tout le monde ...

Dès le début, le film affiche clairement son postulat : les pauvres gentils et les méchants riches. Dès le début, le réalisateur/moralisateur lance un propos très édifiant à son jeune spectateur :...

le 15 janv. 2012

28 j'aime

4