Les thématiques abordées par La Meilleure Version de Moi-Même sont rares autant qu'elles sont casse-gueule, et pourtant, avec la fierté de l'âme humaine réduite à l'état de démeurée de pays surdévelopé, Blanche Gardin aligne dix épisodes parcourant toutes les violences qui ont cours actuellement pour finalement aborder la violence principale qui est celle qu'on s'inflige à soi-même. Parce qu'il faudrait être quelqu'un de bien, ou du moins avoir ce courage.


La violence principale que l'on se fait dans un univers où toutes les richesses sont concentrées autour de soi et même en soi (Blanche Gardin a conscience de son statut d'artiste, c'est-à-dire une individu qui ne produit rien et qui est le résultat d'une surproduction sociale) semble irrémédiablement liée à une blessure narcissique que l'on contemple dans un fond de cuvette. Au travers de ce désamour individuel où l'autofiction rejoint la satire sociale, il est tenté de s'aimer soi alors que nous vivons dans un monde riche et développé où le racisme, le validisme, le sexisme, l'essentialisme, le mysticisme, l'instrumentalisation religieuse ou l'égocentrisme persistent.


Nous devons tous les jours composer avec des violences qui nous précèdent, qui s'aggravent périodiquement, que nous n'avons jamais demandé pour la grande majorité et qui ne sont pas de notre ressort. Cette contorsion semble être un signe d'une anomie individuelle et générale grandissante et inhérente à une organisation économique, sociale et culturelle qui se nourrit, force est de le constater, de ces violences. Force est de constater aussi que plus Blanche, en véritable Icare de l'amour de soi, s'aime, plus elle n'a plus conscience de s'éloigner des autres. Elle leur marche littéralement dessus en même temps que son esprit s'ouvre et ne tolère plus les contradictions sociétales. Voilà un affreux paradoxe mis magistralement en scène, tant il est compliqué de le pointer du doigt : plus on a conscience du monde, plus on est obtus, comme arc-bouté sur une somme inimaginable de principes.

Ces principes, que Trotsky renommait comme étant des guerres de position, peuvent faire de nous de véritables curés sans que cela ne remette en question l'organisation générale de la société. Par exemple, rendre interpersonnelle la nécessaire bataille de l'émancipation féminine, s'en prendre au tout-venant comme si c'était une guerre de tranchée où l'ennemi est la personne devant soi ou derrière l'écran, conduit à une impasse qui ne permet pas de dire que le patriarcat n'a pas à être essentialisé ; il a à être dénoncé comme étant rattaché à un genre et non à un sexe ; il a à être caractérisé comme étant un virus porté par le genre féminin lui-même, et que nous devons nous battre contre toutes les instrumentalisations de cette violence. Oh certes, trouver devant soi l'ennemi à abattre est confortable et concret, mais si on veut chercher ensemble une concrétisation, on en trouvera certainement dans les lois du code du travail et du code civil !

Ce qui est remarquable avec cette mini-série en lien avec Louis CK - humoriste américain connu pour son autodérision et pour son humour noir, en couple à l'écran comme à la ville avec Blanche Gardin - ce qui est remarquable disais-je, c'est de s'amuser avec autant de simplicité de la réaction sociale face à chaque thématique, c'est d'observer avec quelle déflagration, quelle conséquence, Blanche est vouée au supplice de ne jamais s'aimer jusqu'à ne plus exister socialement.


De tous ces compliments thuriféraires subsistent néanmoins un problème de taille qui est la perception de cette série selon les conceptions de tout un chacun. Sans doute une ultime conséquence de toutes les conséquences subséquentes, la personne qui ne voit en cette série qu'un gros foutage de gueule à l'adresse des gauchistes, on ne pourra pas l'empêcher d'y voir ce qu'elle y voudra. Il manque dans cette série une clarification idéologique par-delà les guerres de positions égrénées, une clarification dans la mesure où le réactionnaire se fourvoiera avec sa raison dans ce visionnage et d'aucun ne pourra le lui reprocher. Alors avis à toi, jeune freluquet, proufendeur anti-wokiste : si tu as lu cette série comme tournant en dérision le "wokisme" (terme à récuser), c'est à courte vue. C'est bien mal connaître et le propos du film et Blanche Gardin. Cette série ne se moque que d'une personne qui n'arrive pas à s'aimer en fait et qui tente de ne pas être en opposition avec un monde qui se nourrit d'inégalités et de violences. La petite nuance que tu n'as pas saisi est le fait que Gardin a conscience de ces inégalités et violences mais qu'elle ne parvient pas à s'aimer, elle. Parce que c'est une grosse merde. Ou plutôt on est dans un monde où on fait ressentir aux gens qui sont tout qu'ils ne sont rien. C'est quand même fou qu'après dix épisodes il faille mettre les points sur les i.


Blanche Gardin a souhaité laisser en suspens ce que doivent penser les gens de son taf, sûrement de peur de ressembler à ces curés sociaux qu'elle semble abhorrer, c'est autant à son honneur qu'à son désavantage.

Andy-Capet
5
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le 8 mai 2022

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Andy Capet

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