À l'ombre de Barrès est une petite compilation d'articles réunis autour d'un papier et d'un propos introductifs d'Antoine Compagnon, qui à l'occasion du centenaire de la mort de Barrès en 2023 s'interroge sur la réception complexe d'un écrivain, partagée entre un oubli relatif et une association rapide à tout un corpus idéologique sinon ouvertement fascisant, du moins d'extrême-droite.
Le recueil est composé, en outre de son propos liminaire et d'un article de synthèse de la démarche par Antoine Compagnon, de quatre articles universitaires qu'accompagnent en plus la nécrologie de Barrès faite par Thibaudet ainsi que deux brefs articles de l'auteur lui-même en appendice afin d'inscrire à côté de l'analyse critique la lettre du Barrès journaliste / politique, quelque peu oubliée.
Tout le propos de l'ouvrage, malgré la diversité des angles abordés, est de s'interroger sur la réception de Barrès en examinant à quel point celle-ci semble avoir eu du mal à comprendre la trajectoire en apparence contradictoire d'un auteur s'étant construit dans une promotion presque anarchiste de l'individualisme avant d'évoluer vers une pensée nationaliste (mais à base régionalisante) après un passage – opportun ? – entre-temps par le boulangisme.
Comme toujours dans ce type d'ouvrages, on appréciera plus ou moins telle ou telle approche et on n'échappera pas à une certaine répétitivité dans les rappels, puisque chaque auteur construit sa réflexion spécifique les conduisant tous à repasser par certaines bases communes. Le livre a tout de même le mérite indéniable de bien circonscrire l'objet du débat et de le baliser en détaillant ce qu'a été pour Barrès la vision de l'individualisme (bien différente de ce à quoi le terme renvoie aujourd'hui) ; les différentes tentatives d'expliquer en quoi une certaine continuité peut se chercher entre cet individualisme (supposant une certaine connaissance passablement ésotérique du soi préalable à la construction d'un rapport plus vertueux à l'autre afin d'atteindre finalement une forme de collectif étagé) et une pensée autoritaire et verticale du groupe font parfois quelque peu chausse-pied mais sont éclairantes, tout comme l'approche d'ailleurs du milieu politique des années 1890 qu'il est toujours important de savoir définir avec nuance tant il apparaît comme un panier de crabes secoués dans tous les sens.
Globalement, on peut dire que l'ouvrage a comme vague thèse commune à dégager de la réunion des papiers une envie de peindre Barrès comme une sorte d'aventurier un peu romantique d'un jeu littéraire et politique auquel il ne croyait qu'à moitié, ballotté entre ses intuitions forcément changeantes, ses amitiés trans-partisanes et une manie double pour le rire et le (bri)collage pouvant mettre à mal la capacité à créer un système qui se tient ferme sur ses appuis.
On peut se demander dans quelles perspectives cette démarche est conditionnée par l'impossibilité présupposée de traiter Barrès comme un objet purement littéraire, et si le numéro d'équilibriste auquel procèdent les auteurs de la réunion (concluant souvent de manière antithétique sur un auteur que l'on a encore malgré tout une certaine honte à approcher ?) tient parfaitement jusqu'au bout ; mais enfin, apprécions le projet de vouloir laisser Barrès être Barrès.
Les ajouts de la prose de l'écrivain et du papier lourdaud comme toujours de Thibaudet me laissent plus dubitatif.
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PS : les auteurs sont plusieurs à insister sur le manque de disponibilité en poche de l'auteur notamment sur la première phase de son travail. Cela me surprend, puisque moi-même jeune étudiant j'avais découvert Barrès plus ou moins par hasard en achetant dans des boutiques de seconde main des 10/18 du début du Culte du moi ou du Jardin.