Famine est une voix unique dans le Black Metal. L'homme à la tête du Kommando Peste Noire a patiemment étendu son répertoire musical, avec une Ordure à l'Etat Pur qui ne ressemblait déjà plus vraiment à du black mais plutôt à un punk éclectique et souillé. Sur La Chaise-Dyable, le mouvement se poursuit dans la crasse ; sont inclus des éléments de folk et d'instrumentations très « chanson française » - cf l'accordéon dans les deux derniers titres. Mais ce qui frappe dans ce disque, dans les choix musicaux de Peste Noire, c'est à quel point l'horreur prend ici un visage familier : celui d'un être humain.


Le Black Metal est certes un style qui joue amplement sur la monstruosité, mais celle-ci – dans l'imagerie comme dans le traitement des voix – apparaît souvent sous des traits démoniaques. Et bon, les démons ça fait peur pour sûr mais seulement jusqu'à un certain point. Quand on ouvre les yeux, qu'on retourne à la réalité, on sait bien que les démons ça n'existe pas. En revanche la monstruosité de Peste Noire elle, est tout ce qu'il y a de plus réelle. Elle colle à la peau, coriace, et ne part pas au lavage. Ici, sur La Chaise-Dyable, c'est le monde rural qui se fait tirer le portrait au napalm. Une campagne en ébullition, prête à exploser et venir terroriser les nantis de la ville pour leur cracher à la gueule et les battre jusqu'au sang. Famine prend les traits du paysan tel qu'il est imaginé dans les pires cauchemars du citadin craintif ; débile, vulgaire, violent, dépravé et si possible consanguin. Sa voix est un pur concentré de fiel, d'une haine derrière laquelle perlent les larmes d'un furieux désespoir. Il n'y a qu'à écouter pour s'en convaincre le morceau titre, « A la Chaise-Dyable », qui est à fendre littéralement le cœur. Famine a rarement été aussi audible qu'ici, délaissant en partie les screams et autres growls pour laisser ses paroles se briser nues sur les falaises de nos tympans friables, portées par le chant d'un homme qui s'expose les tripes à l'air, dans un ultime geste désespéré et rageur. À partir de là, Peste Noire se transforme en un représentant difforme et magnifique d'une nouvelle chanson française, une qui aurait des couilles et des choses à dire, n'ayant pas peur de verser dans tous les extrêmes – musicaux comme idéologiques – pour se faire entendre une bonne fois pour toutes. Ainsi le disque se poursuit-il pour s'achever dans la complainte d'un accordéon copulant fiévreusement avec la guitare monumentale d'un Famine possédé.


On comprendra qu'on a été marqué au fer rouge lorsqu'après s'être enfilé les sept glorieuses pistes de La Chaise-Dyable, on passera par la salle de bain, pour avoir l'horreur de constater que le miroir nous renvoie notre image viciée de monstre humain ordinaire. Alors, on criera... avant d'exulter, en embrassant notre condition d'âme errante. N'allez pas croire tout ce qu'on vous dit ; on a toujours pas trouvé le vaccin contre la Peste Noire.

TWazoo
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le 24 mai 2015

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T. Wazoo

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