Le Chant des sirènes
6.5
Le Chant des sirènes

Album de Orelsan (2011)

OrelSan est la cristallisation parfaite et quasi miraculeuse du mal de l'époque.
Il concentre admirablement les caractéristiques d'un courant générationnel, celui du "white trash" des zones périurbaines et de la médiocrité. Une génération veule, pusillanime, qui a la flemme de tout et néanmoins convaincue que la seule issue qui vaille la peine est la célébrité. OrelSan, c'est le modèle de l'homme passif et dévirilisé, complètement indolent et qui propage par les mots l'agressivité qu'il n'est plus capable d'exprimer avec les mains.


Un monde dans lequel le modèle d'autorité paternelle a été complètement désactivé n'a rien pu de produire de mieux que cet avorton musical ; ce blanc qui fait du rap. Loin de l'émotion d'Eminem, loin de la démago de Diam's, le rappeur des classes moyennes blanches dont il est le parfait reflet émerge.


Mais concentrons-nous sur la musique.
J'ai choisi de dire tout ça sur cet album parce qu'il est celui de la maturité, celui de la confirmation et des radios en 3 lettres. OrelSan est arrivé en choquant et en court-circuitant la voie classique de l'apprenti rappeur : il a commencé par Saint-Valentin, le trash-talking du branleur et n'a jamais dévié d'un pouce : plutôt que de rester dans les eaux mornes du rap-jeu-de-mot sans ambition à la 1.9.9.5. -et toute la scène parisienne qui suit-, lui s'est directement lancé dans l'oeil du cyclone avec la polémique de la déprogrammation, les interview de france inter télérama, suivis des principaux journaux et magazines (l'occasion était trop belle de donner au concept de "génération Y" importé des Etats-Unis un porte-drapeau. Vous savez, cette jeunesse sans futur, droguée aux jeux au porno et qui vit chez Papa Maman). Il a sorti un premier album qui jouait à fond sur cette rage, la rancoeur qui se déverse chanson après chanson sur l'album Perdu d'avance. Toujours le pessimisme, toujours la haine contre tout et tous et cette impression d'avoir saisi l'essence de l'album en écoutant une ou deux pistes.


Et vient Le chant des sirènes : le petit normand solitaire s'est trouvé des comparses (dealer de floowteurs ou je sais pas quoi), une audience : ses semblables et même ceux des classes moyennes/sup qui se reconnaissent dans ses textes. L'enjeu est le suivant : OrelSan va-t-il pouvoir inventer autre chose, alors que tout est déjà dans sa première chanson?
La surprise : de blasé et flemmard, Il est encore plus blasé et a encore plus la flemme. Sauf qu'il a de nouvelle rengaines : "ma vie c'était de la merde alors je voulais devenir célèbre et maintenant que je le suis c'est encore plus de la merde" (le chant des sirènes), "maintenant le monde c'est de la merde lol" (plus rien ne m'étonne). Et on retombe dans la vacuité de la vie d'un jeune médiocre dans sa fuite en avant entre alcool et mal de vivre (finir mal).


Oui mais ça marche : c'est quand même étonnant. Ce type est fondalement monstrueux : il ne carbure qu'au cynisme et à la rancoeur, en laissant de côté tout autre moteur émotionnel de l'écriture ; il en résulte une oeuvre difforme, déséquilibrée mais qui convainc : non pas qu'il soit sincère (trop cynique), mais il est tellement rempli de fiel que l'expulser à longueur de texte semble naturel. Ce naturel vient remplacer la sincérité qu'on attend d'un artiste et personnellement, je trouve ça fabuleux. Il n'a jamais rien fait sinon scander l'inanité de sa vie, les angoisse qui l'habitent et la violence de ses fantasmes et les gens adorent. Les instrus sont basiques et ont déjà vieilli ; le texte se pose dessus avec fluidité et précision. La technique est relativement bonne : il ne s'autorise pas beaucoup d'innovations mais cale bien ses punchlines pour déboucher sur un album qui est une bonne synthèse entre un style personnel et un calibrage grand-public.
Sur cet album, il y a un petit hommage au rap 90 : peut-être qu'OrelSan est sensible à l'écosystème du rap autour de lui malgré ce que sa trajectoire suggère. On a aussi droit à une piste "je suis le roi du clash" (ils sont cools) bien calibré rap français de base laurent bouneau walla bsahtek. C'était probablement le prix à payer pour passer sur sky.



Pourquoi faire tout de suite ce qu'on faire plus tard? Tout ce qu'on veut c'est profiter de l'instant



Pour vous la faire rapide si vous n'avez pas le temps d'écouter Aurélien Cotentin, je vais vous énumérer quelques phrases qui recouvrent à peu près l'ensemble de son oeuvre :
On reste au pieu, on se matte du porno, on rallume la play, on referme le cahier, on va au macdo, on est en chien, on veut tuer cette meuf mais on a la flemme de bouger aujourd'hui, on laisse tomber les sentiments, on est complaisant avec soi-même, on se branle, une clope et au lit.

Fabrizio_Salina
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le 22 oct. 2014

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le 22 oct. 2014

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