Cet été-là
6.9
Cet été-là

Roman graphique de Mariko Tamaki et Jillian Tamaki (2014)

Une douce semaine, le temps d’une respiration. Comme tous les étés depuis quelques années, Rose retrouve le même bungalow bordant le lac Awago, dans l’Ontario (Canada). «Un endroit où les bières poussent sur les arbres et où tout le monde peut dormir jusqu’à 11 heures», dit son père, qui a tout compris du paradis.

Le temps est clément, la plage à quelques pas… Mais lorsque Rose arrive cette année-là, la jeune fille est différente. Rose n’est plus tout à fait l’enfant qu’elle était un an auparavant (fini de collectionner les cailloux…) et commence tout juste à effleurer les crises qui fleurissent dans le monde des adultes. C’est l’âge où l’on regarde des films d’horreur en cachette, où l’on se demande si l’été prochain on aura enfin de la poitrine, où le moindre feu de camp abandonné peut se transformer en grande aventure.

Une nouvelle fois, Rose retrouve Windy, son amie de vacances. Un poil plus jeune et shootée au sucre, Windy fonce tête baissée quand Rose se cache dans son sweat à capuche lorsqu’elle croise un garçon qui lui plaît. Entre deux baignades, les filles épient les ados du coin. Rose se passionne pour leurs histoires de couples, qu’elle observe comme on regarde un documentaire animalier tout en sachant qu’elle entraperçoit le monde qui l’attend.

Ils boivent, font l’amour et fuient toute forme de responsabilité. On est loin des idylles d’été façon fleur bleue. A la maison, son père, bon vivant, continue de faire des blagues un peu lourdes. Sa mère, elle, reste en retrait, semble presque en convalescence. Puis, quand une autre partie de la famille vient les rejoindre, le paradis estival prend du plomb dans l’aile. Rose voit sa mère se retrancher, mais elle est trop jeune pour que quiconque prenne le temps de lui expliquer ce qui se passe.

Toujours sur le fil, les Canadiennes Jillian et Mariko Tamaki (elles sont cousines) évitent de se noyer dans le tout-venant des productions indé façon «tranche de vie». Un exercice d’équilibriste applaudi par les grands noms du milieu comme Craig Thompson (Blankets) ou Jeff Lemire (Essex County).

Lorsqu’elles parlent de stérilité ou de grossesse involontaire, les auteures le font par la bande, par petites touches. Surtout, elles parviennent à retranscrire les doutes de l’adolescence, cet instant où l’on se cherche une place entre deux mondes.

Le trait de Jillian Tamaki confère une épaisseur au vent, donne à entendre le bruit du gravier sous les tongs ou permet de sentir la caresse du sable sur la plante des pieds. Elle sait aussi capter le regard lourd de sous-entendu de parents qui ne veulent pas s’engueuler alors que leur fille est dans la pièce d’à côté.

Impressionniste, Cet été-là tient à quelques moments de grâce, comme ces instantanés suspendus hors du temps, des petits gestes apparemment sans valeurs, mais qui resteront en mémoire une fois l’été passé: le père qui boit un soda au volant, un tour de balançoire ou le désordre d’une terrasse après le petit-déjeuner. Le tout tenant dans un cadre précis, extraordinaire en ce qu’il se soustrait au quotidien: les vacances.
Marius
8
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le 6 juil. 2014

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Marius

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