Kamala Khan : le poids de toute une génération sur les épaules.

Nouvelle super-héroïne de l'univers Marvel, la jeune Kamala Khan est définitivement - et bien malgré elle - la porte parole de toute une génération. Elle a pour elle d'appartenir à plusieurs minorités et de débarquer dans une époque où toutes les luttes pourraient sembler vaines ; mais où, paradoxalement, celles-ci semblent se réveiller doucement.
La nouvelle Miss Marvel arrive au bon moment, comme en réponse aux questions et angoisses qui flottent dans l'air aujourd'hui : la peur de l'étranger, des religions, les luttes féministes, le jeunesse, l'avenir, la place de la pop culture dans nos vies.
Eh bien, tout ça est abordé dans cette série, dès la première année de parution.
Kamala, c'est donc cette ado musulmane, vivant aux USA, qui d'un coup (suite à un événement de l'univers Marvel) se retrouve avec des pouvoirs impressionnants, quoiqu'un peu ridicules : elle peut grandir et rapetisser, changer d'apparence, et ressemble souvent à un morceau de pâte à modeler qui se contorsionne étrangement.
La finesse d'écriture de la scénariste G. Willow Wilson et le trait vif d'Adrian Alphona rendent le tout frais et vivant. Le traitement est à la fois très classique : on a là toutes les étapes du héros qui découvre ses pouvoirs, puis doit s'en montrer à la hauteur, tout en jonglant avec sa double identité et ses proches. Mais, d'une part le dessin d'Alphona, qui puise autant dans le comic, que le manga, la BD européenne ou les expérimentations brouillonnes de l'underground, donne au tout une personnalité unique.
Surtout la scénariste a pris soin de développer une héroïne qui ressemble à son lecteur : elle n'est pas la bonnasse badass des 90'S. L'ado débarque avec ses envies, ses doutes, sa maladresse. La religion y est traitée avec une grande intelligence : à aucun moment nous ne nous retrouvons avec des cours didactiques, tout est glissé dans le quotidien avec une grande simplicité.
Très actuel (et diablement métadiscursif), Kamala est aussi une grande fan de super-héros. Elle est l'exemple même de la jeune fille d'origine étrangère, intégrée à la société américaine, fan de sa culture. En accord ou pas avec l'univers Marvel, elle croise Wolverine, genre LE mec badass, qui s'avère là vieux, et mal en point. J'y vois comme un double mouvement (qu'on trouvera je pense aussi dans le nouveau Star Wars, avec la relation de Rey et Han Solo) : désacralisation / re-sacralisation par un biais détourné.
J'aime particulièrement le message de l'arc "Génération Y" (épisodes 8 à 11), qui pose cette question très actuelle : y a-t-il un avenir ? la nouvelle génération peut-elle faire quelque chose pour ce monde ? en a-t-elle les moyens ? est-elle utile ? en fin de compte, à quoi bon ? (Y = why ? = pourquoi ?) Dans ces épisodes Kamala répond : si, nous sommes là, nous comptons et nous ferons ce qu'il faudra.
Il se dégage alors de ces pages une grande force et pas mal d'espoir : si cette adolescente presque quelconque, fan de super-héros aussi désuets que simples outils d'évasion (quelque part de divertissement et de massification), cette ado de cette génération désillusionnée, un peu désespérée, cette jeune femme (le sexe faible comme on sait, hein), se trainant le boulet de cette religion qu'on regarde suspicieusement ces temps-ci (alors qu'il s'agit effectivement d'une culture comme une autre), si cette ado là, peut à sa propre hauteur faire quelque chose de bien pour le monde, pourquoi alors, toi et moi ne le pourrions-nous pas aussi ?
OK, ça fait d'elle le symbole de beaucoup de choses en même temps. Beaucoup à porter d'un coup. Mais elle semble partie pour le faire plutôt bien en marquant les esprits.