Une petite tribu de petits bonhommes sans aquarium nommée Babaoro'm

Longtemps considéré à tort comme le tout premier Tintin, Tintin au Congo est devenu le parangon de la critique colonialiste en cours d'Histoire dans les écoles françaises.


Pourtant, si l'esprit colonial est présent, de façon démesurée étant donné l'éloge et la vision édulcorée et naïve des missionnaires, tout est à prendre au second degré.
Témoin, la case de l'album (p.58 de l'édition Casterman de 1970) où Tintin, perdu en pleine cambrousse, seul avec Milou, précipité dans l'eau par un buffle, ressort vindicatif en grognant: "Mon cher ami, tu vas me payer ça! ...". Ce à quoi Milou ajoute: "Tu as raison: ta réputation est en jeu!...". Hergé se moque autant sinon plus de ses héros que des congolais qui, s'ils sont montrés primitifs, campagnards et paresseux, ne subissent en fait que la même caricature que celle que l'on a longtemps fait des bretons au XIXe siècle et que l'on faisait à cette époque des corses et des marseillais. Tout est dérision et caricature, qu'il s'agisse de Tintin, de Milou ou des personnages africains.
En fait de caricatures, on trouve même une tribu congolaise qui préfigure un camp romain retranché d'Astérix quelque vingt-huit ans avant: la tribu de babaoro'm.


On le comprend d'autant mieux lorsqu'on le lit dans la continuité de Tintin au pays des soviets: Tintin reste très cartoonesque.
Proche du James Bond de Roger Moore dans Octopussy et détesté des puristes de 007, véritable caricature du stéréotype du héros vernien, Tintin se déguise en singe et en girafe en revêtant leur peau comme un costume.
Peu écologique, il aligne les gazelles pensant en tuer une et chasse le rhinocéros à la dynamite!
En cela, il rejoint le Tintin qui se construit un hélice d'avion avec un arbre dans le précédent opus ou le Tintin des Cigares du pharaon qui se construit de la même manière une flûte-trompe pour communiquer avec les éléphants dont il a étudié et assimiler le langage: Michel Strogoff après l'heure et McGyver d'avant-garde, Tintin n'est pas encore à l'image que les lecteurs actuels se font du héros.


Autant qu'un surhomme inventeur et bâtisseur à la Ulysse, Robinson, Tintin donne dans le lieu commun de la demoiselle en détresse.
Plusieurs fois victime d'un ennemi aux desseins peu clairs avant la fin de l'intrigue, Tintin n'est jamais tué. Mais assommé et ligoté bien trois ou quatre fois, puis laissé à la dévoration de crocodiles, serpents ou abandonné au péril d'une chute d'eau. Seul l'album suivant multipliera à outrance ces péripéties qui féminise pour l'époque le personnage de Tintin. Plus marquant sera la posture de Tintin dans Le Lotus bleu, lorsque s'apercevant de la soudaine folie d'un messager chinois, il s'écrie la tête (aux pommettes roses marquées) dans les mains comme Falbala ou Blanche-Neige: "Oh, le malheureux!".


Un creuset où se prépare les différentes facettes les plus familières comme les plus étranges du jeune reporter Tintin. Un album truffé de second degré regardé souvent à tort comme un indice plus qu'une critique de la conception de l'homme noir à cette époque. N'oublions pas que l'Arabie de Voltaire et la Perse de Montesquieu sont, avant d'être les caricatures de xéno-civilisations, les caricatures de notre civilisation.

Frenhofer
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le 5 déc. 2015

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D'autres avis sur Tintin au Congo - Les Aventures de Tintin, tome 2

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