Pour ce second long métrage en tant que réalisatrice, Valeria Bruni Tedeschi a atteint son objectif de nous sensibiliser, avec un mélange de fantaisie et de compassion, aux sentiments qui peuvent tout à coup bouleverser l'existence d'une femme de 40 ans qui prend conscience qu'elle a passé le plus clair de son temps dans l'illusion, car jouer est un leurre ; il y a donc soudain face au jeu, le JE du soi qui réapparaît et remet tout en cause. Contrairement à Rimbaud qui affirmait que Je est un autre, Valéria Bruni Tedeschi opte pour la thèse opposée : l'autre s'est emparé du Je au point de le mutiler, étant donné que l'acteur est sans cesse contraint de se quitter pour être l'autre.

Et d'ailleurs, que sait-on des actrices, ces femmes un brin exhibitionnistes dont le métier est d'impressionner la pellicule, même si celles d'aujourd'hui s'efforcent de plus en plus de ressembler à Madame-tout-le-monde ? Par ailleurs, le succès est-il incompatible avec le bonheur ? Faut-il avoir tout connu pour être une actrice tout terrain et est-ce un atout supplémentaire que de cacher dans sa besace quelques vieilles névroses qui vous aideront à élargir l'éventail de vos émotions ? Ces interrogations sont posées dans Actrices de Valeria Bruni Tedeschi qui sait d'autant mieux ce dont elle parle, qu'elle est passée par la case actrice - ce qu'elle est toujours, même dans ses propres films - avant de prendre pied dans celle de réalisatrice. Sorte de Woody Allen à la française, elle nous brosse le portrait d'une comédienne de talent en manque de maternité avec une réelle justesse d'observation, une angoisse pleine d'allégresse et un sens inné de la loufoquerie ; en quelque sorte une folie douce qui n'en est pas moins empreinte de la gravité que l'on peut circonscrire par ces quelques mots : assez jouer, soyons.

Ouvrant subitement les yeux sur les sacrifices qu'elle n'a cessé de consentir pour devenir une star, Marcelline ( en hommage à Marcello Mastroïanni ) s'aperçoit qu'elle n'a pas de vie personnelle, pas de mari, pas d'enfant, alors que se profile l'échéance de sa quarantième année. Serait-ce trop tard ? La panique se saisit d'elle devant cette existence qui lui semble gâchée, alors qu'elle amorce les répétitions d'une pièce de Tourgueniev " Un mois à la campagne " dans le rôle de Natalia Petrovna. Est-elle cette héroïne d'un passé déjà aboli ou une femme encore jeune qui a laissé filer le temps sans rien bâtir par elle-même et pour elle-même ? Tourné presque en totalité au théâtre des Amandiers, afin de rendre plus oppressant et réel un sentiment d'enfermement et de claustration, ce long métrage est une réussite qui ne cède à aucun moment au pathos. Préservé de ce danger par l'intelligence, la drôlerie, l'auto-dérision, cette tragi-comédie pleine d'ironie et d'impertinence, roborative au possible, se révèle être un formidable coup de dé et coup de fouet. On la regarde avec jubilation tellement elle touche juste et raconte vrai. A ne pas manquer.
abarguillet
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le 9 nov. 2013

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abarguillet

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