Les personnes âgées sont souvent des laissés pour compte. En effet, on a souvent peu de considération pour elles, on les prend pour des dinosaures dépassés par tout et ne pouvant comprendre ce dont on parle aujourd'hui. Il n'y a qu'à voir l'espace médiatique, quasi-nul, qu'elles occupent. Et je ne m'abstiendrais de parler du traitement qui leur est généralement réservé en maison de retraites. Plutôt que de raconter l’histoire d'amour d'un couple de lesbiennes, chose certainement plus glamour, Haneke, lui, choisit de se focaliser sur deux octogénaires en fin de vie, et d'en faire les stars de son dernier film. Il traite de façon très frontale leur délitement et les pertes multiples qu’entraînent la vieillesse, que ce soit sur le plan humain ou le plan psychologique. Il y a, comme souvent chez l'auteur de "Funny Games" et du "Ruban Blanc", une grande contemplation, une caméra posée là en œil voyeur, mais sans attrait malsain. Haneke aime mettre en avant la généalogie de notre quotidien, et faire cela sans fard. Nonobstant certaines scènes crues ou difficiles, il n'y a aucune complaisance de sa part à filmer ces deux vieillards faisant face à la maladie et la mort. Au contraire, on ressent beaucoup d'amour.

Dans sa mise en scène, Haneke a toujours privilégié l'épure, une grande sobriété et une implacable rigueur. Sa grammaire cinématographique se compose très souvent de plans fixes aux cadres parfaitement soignés avec une grande profondeur de champ. Son montage est lent, son ambiance est froide. Pas de musique à outrance pour souligner telle ou telle émotion, sauf si celle-ci est diégétique. Chez ce genre de cinéaste antithèse de Tarantino ou Guy Ritchie, les multiples effets visuels, les images épileptiques et autre shaky cam n'ont pas la main-mise. Aucun artifice ne semble être toléré dans les partitions du chef-d'orchestre autrichien.

Sous sa baguette, on est très heureux de retrouver le toujours excellent Jean-Louis Trintignant, spécialement sorti d'une retraite de dix ans pour l'occasion, quand bien d'autres comédiens devraient la prendre... Il joue là, sans fausse note, un homme au caractère bien trempé, à la limite de l'arrogance, mais si fragile et désarçonné face à la dure réalité d'une vie menacée par la Mort tapie dans l'ombre. Et surtout, comment ne pas être subjugué par la performance de Emmanuelle Riva ? A plus de 80 printemps, l'éternelle Elle de "Hiroshima mon amour" livre une prestation en tout point saisissante, celle d'une femme douce et raffinée, prisonnière de son propre corps et de sa propre déliquescence. Son César de la meilleure actrice, tout comme son Prix d'Interprétation à Cannes, ne sont pas volés pour le coup. Voilà des acteurs que l'on aimerait qu'ils ne vieillissent pas.

"AMOUR" n'est pas forcément un film grand public malgré son sujet universel, car Haneke ne cesse de créer volontairement une distanciation, refuse en bloc l'hyper-spectacularité. Il affiche clairement un minimalisme appuyé tout comme une grande austérité pouvant conduire à une certain manque d'émotion, ainsi qu'un rythme très lent, cause de certaines longueurs, dont le film pâtit vers la fin. Si il ne s'agit pas là du meilleur film de son auteur ("Funny Games" et "La Pianiste" lui sont, à mon sens, supérieurs), on ne peut s'empêcher d'être malgré tout marqué par ce (quasi) huis-clos très intimiste qui, malgré ses défauts, est sourdement fort et beau.

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Créée

le 8 déc. 2013

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