Lors de la guerre du Vietnam, les services secrets américains confient au lieutenant Willard la mission de traquer et de tuer le Colonel Kurtz, un homme à la carrière exemplaire devenu fou, et qui mène une guerre personnelle à la frontière du Cambodge.
Apocalypse Now était un film de guerre que j'appréciais sans aimer, ne le trouvant pas tout à fait convaincant. Il m'était assez difficile de comprendre la fin du film, toute son importance, sa portée. De plus, la rencontre avec Kurtz, assez brève, me laissait sur ma faim. C'est corrigé ici, dans cette version "redux", et corrigé magistralement.
De la même manière que Il était une fois dans l'Ouest, Apocalypse Now Redux n'est fait que de longueurs indispensables. Au fond, l'histoire se résume à un homme qui doit aller d'un point A à un point B, mais c'est dans l'écart entre ces deux points qu'on pénètre l'horreur de la guerre, son absurdité crasse, et que Willard comprend peu à peu pourquoi Kurtz est devenu ce qu'il est.
Coppola s'est inspiré du roman Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad, avec la longue remontée du fleuve, qui s'apparente à un des fleuves de l'enfer de la mythologie. Et au bout celui qui règne sur l'orgie de l'horreur. Kurtz devait être interprété par Harvey Keitel au départ (et d'autres acteurs). Difficile de l'imaginer dans ce rôle aujourd'hui, lorsqu'on y a vu Marlon Brando. Gigantesque (par des trucages), pas loin d'être obèse, mais de cet embonpoint imposant, chauve avec une tête de sphinx énigmatique, Marlon Brando était aussi, dans la vie, un être assez dérangeant, malsain, bizarre. Si, jeune, sa beauté troublante nous cachait cet aspect, plus il a vieilli et plus cette ambigüité est ressortie de sa personne, de ses traits. Il faut le voir dans Missouri Breaks dans ce rôle de tueur à gages repoussant qui parle à son cheval, ou dans le mauvais l'Île du dr Moreau, ou sa prestation est quand même une étrangeté. Dans ces deux films, sa présence n'est pas en harmonie avec les autres acteurs, il y a comme une dissonance, c'est un homme qui possède un charme inquiétant, il est à la fois fascinant et empoisonné, en train de pourrir sur place.
Qui d'autre pouvait interpréter un être aussi malsain que Kurtz ? Lui donner corps et vie ? Qui d'autre pouvait être le champion de la guerre sale, de l'horreur personnifiée ? Car le sujet du film, ou l'un d'eux, est celui de la guerre sale, et de l'hypocrisie militaire d'où naissent l'horreur et des hommes comme Kurtz.
- "Nous devons les tuer. Nous devons les incinérer. Porc après porc. Vache après vache. Village après village. Armée après armée, et ils me traitent d'assassin ! Comment dit-on lorsque des assassins accusent un assassin ?" - "Ils apprennent à ces mômes à balancer du feu sur des gens mais ne les laisserait pas écrire « enculés » sur leur avions parce qu’ils trouvent ça obscène." -
Il faut voir aussi comme Coppola donne vie par l'image à ce cauchemar, autant durant les scènes de jour (le bombardement wagnérien, les bunnies désoeuvrées) que dans celles de nuit, où il joue avec un clair-obscur envoûtant proche du malaise ; l'image semble nous révéler des choses que les mots sont incapables d'exprimer.
À mesure que le film avance, les repères disparaissent, s'évanouissent. Tel bataillon n'a plus personne à sa tête, c'est le brouillard moral qui se lève et s'épaissit, jusqu'à la rencontre tant attendue avec la folie pure.
"Willard : Ils m'ont dit que vous étiez devenu complètement fou. Et aussi que vos méthodes sont malsaines.
Kurtz : Mes méthodes sont-elles malsaines ?
Willard : Je ne vois aucune méthode, mon colonel."