Pas complètement perdu

Atlantide fait partie de cette période Disney appelée « ère post renaissance », dont seuls survivront dans les mémoires Lilo et Stich ou The Emperor's New Groove.

Dès sa naissance, il était mal barré. Émergeant au cinéma en même temps que Shrek de DreamWorks et Lara Croft : Tomb Raider de Paramount Pictures, il a été englouti par ces deux raz-de-marée du box office.

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’Atlantide est un trésor caché de Disney. Je crois par contre qu’il a injustement disparu dans un océan d’indifférence.

• Fewer songs, more explosions

La comparaison avec Shrek a été rude pour Atlantide car Disney essayait d’amorcer un virage plus adulte dans ses films. Sauf que DreamWorks a sauté à pieds joints dans la bouillasse, alors que Disney n’y trempait que l’orteil. Il faudra attendre Pixar pour le grand plongeon.

Pour se convaincre de ce virage, il suffit d’essayer de compter les morts dans le film. Même si on n’en voit aucune directement, c’est un véritable massacre dès le début de l’expédition. Et croyez-moi, ma cospectatrice de 7 ans l’a très bien noté.

L’autre bon point est l’absence de musique. L'équipe de production portait même des maillots avec inscrit dessus : « ATLANTIS—Fewer songs, more explosions » (ATLANTIDE - moins de chansons, plus d'explosions) en raison du projet orienté film d'aventure, à l'opposé des productions précédentes plutôt de type comédies musicales. Et dans une production Disney, c’est un véritable défi de ne pas pousser la chansonnette. Ceci constitue un changement de rythme inédit.

• L’incontinent perdu

Pour Kirk Wise, un des deux réalisateurs, cette absence de chansons fut une opportunité pour l'équipe de développer un peu plus les personnages.

« Nous avons eu plus de temps d'écran pour faire une scène comme quand Milo et les explorateurs campent et se racontent leurs histoires. Une séquence entière est dédiée au repas du soir et au coucher. Ce n'est pas quelque chose que vous avez typiquement le luxe de faire. »

Toutefois, l’une des faiblesses du film réside justement dans cette surabondance de personnages. On dénombre une dizaine de rôles principaux et, même si les scènes chantées sont enlevées, cela reste difficile de développer les personnages, plus particulièrement leurs motivations. Il en résulte des rôles caricaturaux et superficiels, pour ne pas dire inutiles dans certains cas (insupportable incontinence verbale de Patrick Timsit dans la VF). Je dois toutefois confesser que j’ai trouvé la lieutenant Helga Katrina Sinclair particulièrement sexy.

• Les aventuriers de l’art perdu

Cette abondance de personnages est aussi symptomatique d’un problème d’identité dans Atlantide. L'histoire s'inspire du roman Voyage au centre de la Terre (1864) de Jules Verne et s’inscrit complètement dans le récit d’aventure. Et sur ce point, le film marche plutôt bien, tant dans l’action que dans l’aspect exploratoire.

Mais certains personnages tentent d’apporter de l’humour. Si l’équipe d’Atlantide a su se débarrasser des chansons, elle n’a pas réussi à enlever du cahier des charges les gags. Sauf que le film peine à passer de l’humoristique au dramatique, rendant l’ensemble bancal, pour ne pas dire gênant.

• La partie immergée

La mise en scène et les personnages occultent toute la partie immergée du projet. Et c’est bien malheureux car la production s’est entourée d’immenses talents.

A commencer par Joss Whedon, qui a été le premier scénariste engagé sur le film. Malheureusement pour nous, il est rapidement réquisitionné sur d'autres projets et Tab Murphy finalise le scénario.

Le travail de recherche a été remarquable, de même que celui d’imagination. En l’absence de preuves tangibles de l’existence de l’Atlantide, la production a créé elle-même la langue des Atlantes. Une tâche confiée au linguiste Marc Okrand, créateur de la langue vulcain dans Star Trek 2: la colère de Khan et de celle des Klingons dans Star Trek 3: A la recherche de Spock. Marc Okrand s'est basé sur les langues indo-européennes pour fabriquer un alphabet de 29 lettres et de 10 allant de 0 à 9.

La recherche architecturale a aussi été poussée, comme le souligne Don Hahn, le producteur.

« Si vous prenez et démontez l'architecture tout autour du monde en vocabulaire architectural, c'est à cela que doit ressembler l'Atlantide ».

Mais pour moi, l’apport le plus important est celui d’un de mes auteurs de comics favoris : Mike « Hellboy » Mignola. A lui seul, il compte pour la moitié de la note.

Pour être honnête, j’ai vu le film sans savoir qu’il était dans le projet. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai retenu son trait, mais j’ai été marqué tout le long par la qualité des décors et le design de l’Atlantide. Mike Mignola est l'un des quatre artistes engagés par le studio pour développer ce film, avec Matt Codd, Jim Martin et Ricardo Delgado. Son influence se ressent tout particulièrement dans le dessin des personnages, très anguleux, l'architecture de la cité sous-marine et dans les aplats de couleurs.

Mignola fut le premier surpris quand il a été contacté par le studio pour travailler sur Atlantide.

« Je me souviens qu'on regardait un extrait d'une version de production du film et les personnages avaient de grandes mains carrées bizarres. J'ai alors dit au mec à côté de moi
— Ces mains sont sympas.
— et il m'a répondu.
— Oui nous avons eu une réunion complète sur comment dessiner vos mains
— C'était si étrange que je n'ai pas réussi à me sortir cela de l'esprit. » (Mike Mignola)

Pour conclure ainsi ceci, je ne peux que vous pousser à jeter un œil sur les concept arts de Mignola. Et je me plais à penser que si Hellboy avait été de la partie, l’affaire aurait été plié en moins d’une ½ heure.