1/ THÉORIE :
De nombreux jours après avoir vu le film, j'ai fini par me faire cette réflexion :
Imaginons un chef particulièrement talentueux. Un type qui sait adapter des recettes simples, à sa sauce, avec finesse et flair. Il bosse avec une équipe de confiance, un peu sa famille, des gens qui connaissent son esprit et savent répondre à ses directives. Il bosse avec des producteurs locaux, va lui-même choisir ses produits. Et, presque à chaque fois, c'est une réussite, même avec des moyens moyens, il s'en sort toujours à faire un truc classe, sans prétention, mais incroyablement bon.
Imaginons que soudain, chez McDo, ils décident de lancer une sorte d'opération spéciale : revoir leur carte et proposer soudain des menus imaginés par un vrai chef cuistot. Ils vont voir notre ami ci-dessus, hop, ils lui propose un deal. Lui, parce que malgré tout, il se souvient du temps où son père l'amenait là certains weekend, et parce que relever les défis l'enthousiaste, il dit banco.
Et nous y voilà. Le truc : il va devoir utiliser uniquement les produits fournis par McDo, avec des équipiers McDo, dans les cuisines McDo. Qu'importe, son talent et son flair infaillible vont lui permettre quelques audaces, des associations d'ingrédients dont lui seul a le secret, et au final, il est vrai, on reconnaîtra sa patte.
Pourtant, quoi qu'il en soit, on ne l'évitera pas : ce sera toujours un hamburger et des frites, et les menus seront irrémédiablement servis dans les mêmes éternelles boîtes en carton réglementaires, accompagnés d'un coca.
Eh bien, ça, c'est exactement l'effet que me font les Avengers de Joss Wheddon.
2/ PRATIQUE :
Bien sûr, le film de Wheddon reste une sympathique distraction. Et, si l'on connait un peu les apports amenés au comic book de super-héros par Stan Lee (cf. ce que je soulignais ici au sujet des vieux comics des Avengers : http://www.senscritique.com/bd/avengers-essential-vol-2/8241300394090965/critique/colville/), c'est-à-dire le côté très humain et les préoccupations assez terre à terre qui vont avec, on sait que Joss se place dans cette directe filiation. Alors, finalement, oui, il y a une sorte de logique à le voir oeuvrer avec les Avengers.
Cependant, si l'on a suivi la carrière du bonhomme, on sait ses capacités, et l'endroit où il a mené la série B kitsch. On sait que depuis, désespérément, on cherche à marcher dans ses pas, sans jamais arriver à retrouver avec autant de finesse les métaphores, les allégories et carrément l'intelligent métadiscours qu'il avait réussi à mener. On connait alors bien son humour, ses tics, la façon dont il fait vivre et interagir les groupes, les discours sousjacents qu'il glisse partout.
Le résultat, c'est qu'ici, dans The Avengers, plus rien ne surprend : on connait toutes ses blagues - et leur mécanique - qui paraissent soudain rejouées en moins bien, et surtout, cette histoire de conflit du groupe (toutes ces fortes têtes vont-elles réussir à s'entendre ? suspens, suspens...), on l'a déjà vu. On l'a vu dans Buffy, au moins une fois par saison. On l'a vu dans Angel. On l'a vu dans Firefly... Et à chaque fois, la durée que confère le format série a permis de donner un poids bien plus important à ces conflits et à leurs résolutions. Surtout, un des talents de Wheddon a toujours été de déjouer les codes de la série B, usant de toutes les ficelles, avec cette ironie constante qui rattrapait les élans de grand romantisme soap gothique.
Dans The Avenger, parce qu'il a Marvel sur le dos, et entre les mains une licence qui ne permet pas l'expérimentation, il est obligé de suivre des chemins balisés. Tant que son film, même si bien ficelé, l'est comme n'importe quel film d'action à grand spectacle, figé dans des stéréotypes répétés et répétés (et ne parlons même pas de la musique !), qui paralysent sa verve habituelle. Puis, étonnamment, la maîtrise du film, tant au niveau de son rythme - comme calculé à la seconde - que de son image peaufinée, avec ces effets spéciaux dernier cri, fait perdre le goût particulier qu'avait les productions Wheddon, auxquelles le cheap participait grandement, excusant d'ailleurs les ratés et tout ce qui aurait pu paraître grossier.
Ici, on s'étonne par exemple de la soudaine capacité de Banner à contrôler le Hulk - qui n'a aucune justification, si ce n'est celle d'un deus ex machina pour pouvoir terminer le film. On aurait pardonné ça dans Buffy, et le format série aurait certainement permis, même de façon brinquebalante, d'amener ça bien mieux. Toujours, le grossier et le kitsch, ainsi que le second degré, auraient tout excusé, et on en aurait ri. Dans The Avenger, ça fait juste tâche.
Alors, peut-être que si l'on compare à d'autres films de super-héros mal fichus, ok, le résultat est plutôt dans le haut du classement - et encore... Mais si on le prend comme un film de Wheddon, tout ce qu'on peut faire, c'est hausser les épaules et dire : bon, ok pourquoi pas ?
Addendum de dernière minute :
après avoir lu cet article : http://hyperbate.fr/dernier/?p=19922 (sobrement intitulé "misère de la super héroïne au cinéma"), j'ajoute que Wheddon m'a toujours semblé un type plutôt féministe, Buffy en est un bon exemple, mais toutes ses séries ont aussi des personnages féminins riches et particulièrement intéressants, brisant souvent les clichés, ou au moins jouant avec ceux-ci. En raison de son casting, The Avengers est finalement assez décevant de ce point de vue. Et ça, ne nous y trompons pas, c'est encore la faute à Marvel.
