Attaquons directement le seul défaut de ce film somptueux pour mieux nous attacher à en faire l’éloge par la suite.


Trop bon, trop parfait, trop monolithique pour être réel, sanctus Barberousse (oui je parle latin ^^) ne se défait jamais de cette image de statue du commandeur. Bien sûr il corrompt un chef de la police, bien sûr il ment à la tenancière d’un bordel, bien sûr il se bat, etc. mais personne n’est dupe. Tout ce qu’il fait de tendancieux il le fait pour le bien de la communauté et le bien de ses patients. Cette imperfection est d’autant plus visible qu’elle est artificielle. On sent bien que Kurosawa voulait donner un côté plus humain à son personnage mais les remords, les actes de contrition publiques sont trop explicites. Et puis il y a la scène de bagarre où il se mue en super combattant cassant les bras et les jambes de sa dizaine d’adversaires qui m’est apparue totalement saugrenue dans ce récit. Bref, malgré l’excellente prestation et l’incroyable présence de Toshiro Mifune (extraordinaire en comique de service grimaçant dans Les 7 Samouraïs ou Rashomon, il est ici formidable de simplicité, laissant agir son magnétisme), ce personnage plus saint que les saints déborde tellement d’humanité qu’il manque de ces imperfections qui finalement font l’humain et permettent de s’y attacher.


Barberousse, comme son nom l’indique, retrace l’histoire de … Noboru Yasumoto (perdu ! ^^). Noboru Yasumoto, jeune médecin, est affecté à un dispensaire tenu par le mystérieux et redoutable Dr Kyojio Niide a.k.a. Barberousse. Il est arrogant et ambitieux, et ne rêve que de partir au plus vite et de rentrer au service personnel du Shogun.


L’introduction plonge immédiatement le spectateur dans cet univers grâce à un côté thriller. Noboru est enrôlé presque de force, en tout cas contre son gré (il pense être là pour une simple visite) dans cet univers clos, empli de misère et d’odeurs nauséabondes de « fruits pourris » où règne l’omniprésence tutélaire de Barberousse, apparition terrifiante, statue du commandeur, personnage inaccessible, intransigeant et tout puissant. Ce côté mystèrieux est amplifié par cette annexe où réside une jeune femme, mise en cage, mante religieuse érotomane.


La confrontation, extrêmement sensuelle, avec cette première patiente sera le premier déclencheur. Les deux suivantes : Les « sublimes » derniers instants de la vie d’un homme et l’horreur de l’opération sanglante effectuée à vif, achèveront de vaincre les réticences de Noboru. Dès lors le parcours initiatique de ce jeune homme commence réellement. Malgré la sagesse et la vertu de Barberousse dont le statut de maître prend alors toutes ses significations, c’est surtout par le biais de ses patients et de leurs histoires que Noboru progresse dans sa réflexion existentielle et humaniste. La confrontation à la misère aussi bien financière que sociale, les récits de compassion et de pardon autant que d’égoïsme, de cruauté et d’indifférence transforment irrémédiablement le jeune médecin.


Ce film a fait résonner quelque chose en moi. Au-delà même de ces valeurs auxquelles, je pense, chacun d’entre nous adhère, même si on se comporte tous parfois plus ou moins comme des c*nnards égocentriques que l’on s’en rende compte ou non, au-delà de ces valeurs donc, disais-je, cette « éducation » de Noboru, c’est aussi celle que j’ai eue. Bien sûr je n’ai jamais eu à me confronter directement avec ce que l’humanité peut offrir de pire et de plus misérable mais ces valeurs humanistes sont celles que mes parents, médecins eux-aussi, m’ont inculqués, l’air de rien, dans leurs anecdotes de travail lors de nos repas à table. Sans bien sûr jamais citer de noms, ces anecdotes, parfois drôles, parfois amères, ont rythmé mes repas d’enfant et d’adolescent.


Visuellement le film est sublime. De ce que j’ai vu, le plus beau film noir et blanc de Kurosawa. Jouant en quasi permanence sur les contrastes, dans la lumière et dans l'obscurité (créant alors une sorte de hors-champ dans le champ), jeux d’ombres sur les panneaux japonais, etc. la photographie magnifie l’histoire et ses sous intrigues. Ainsi l’image des trois médecins dînant, les derniers instants « sublimes » de la vie d’un homme (la beauté de l’image rejoignant alors l’aspect philosophique de ces paroles), etc. impriment le cerveau encore plus longtemps que la rétine. Le soin apporté au montage sonore de Kurosawa ne cesse de m’impressionner. Il y a toujours ce souci du détail qui donne vie au récit d’une manière presque palpable comme ce carillon qui sonne dans le vent et qui restera à jamais indissociable de l’histoire de cette épouse qui n’est retrouvée que pour mieux la perdre.

ghyom
9
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le 3 nov. 2014

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ghyom

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