33 ans plus tard, Blade Runner ressort au cinéma. C'est l'occasion de revoir ce classique de la science-fiction de Ridley Scott sur grand écran, en attendant sa suite réalisée par Denis Villeneuve. Le temps a-t'il fait des ravages sur une oeuvre en avance sur celui-ci en 1982 ? La version director's cut est elle meilleure que la précédente ? La réponse se trouve dans les prochaines lignes.


Los Angeles 2019, Rick Deckard (Harrison Ford) est sommé de retirer quatre répliquants venus sur terre, après avoir tué des humains et fuient une colonie spatiale. Afin de mieux les démasquer, il va faire la rencontre de Rachel (Sean Young), une répliquante ignorant sa condition. Il va être troubler par cette "femme", au point de remettre en questions ses croyances.


Blade Runner est le film qui m'a fait aimer le septième art, avec Les cadavres ne portent pas de costards. Nous sommes en 1982 ou 1983, durant ses études de journalisme mon oncle tient la caisse du Mazarin, un cinéma d'art et essai d'Aix-en-Provence. Perdu dans cette ville que je découvre, les salles de cinéma me semble un bon refuge pour oublier divers événements. Ce sera le début d'une longue histoire d'amour avec cet art, que j'aime depuis l'enfance. Chaque jour, je me glisse dans la salle; que le film ai commencé ou pas, peu importe; je veux juste continuer d'être émerveillé par cette oeuvre majestueuse, d'une beauté visuelle hypnotisante, même si je ne cerne pas les divers sujets qu'aborde le film.
Il est évident que le revoir dans une salle de cinéma après tant d'années, provoque une certaine excitation mêlée à la peur d'être déçu. Bien sur, j'ai eu l'occasion de le visionner à nouveau depuis sa sortie, mais sur un téléviseur la magie opère moins bien. J'étais tout de même enchanté de le revoir, même si mes parents s'étaient fortement ennuyés. Quoiqu'il advienne cette oeuvre restera importante à mes yeux, jusqu'à ce que la mort nous sépare.


Après cette interlude sur ma trépidante enfance, place au film. Blade Runner est une adaptation du roman de Philip K. Dick : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Je conseille de le lire, cela apporte certains éléments de réponses, mais permet aussi de voir les nombreuses différences entre les deux œuvres.
Mais l'une des questions les plus importantes restent sans réponse, ou du moins chacun en fait sa propre interprétation. Rick Deckard est-il ou pas un répliquant ? Ridley Scott a déclaré que cela en était bien un, sa version semble confirmer son affirmation. Plusieurs éléments corroborent cela. Tout d'abord, il rêve d'une licorne et collectionne des photos sur son piano. De plus, il éprouve un certain malaise dès qu'il retire un répliquant. Son partenaire Gaff (Edward James Olmos) dépose un origami en forme de licorne devant sa porte, il semble d'ailleurs être lui-même un répliquant. Il a la même lueur dans les yeux que ceux qu'ils doivent retirer. La question n'est-elle pas finalement : restent-ils des humains sur cette terre ?


Le Los Angeles que l'on découvre est sale et sombre. Un nuage de pollution recouvre la ville, le soleil est encore apparent mais ses rayons ne frappent plus la terre. On ne peut plus faire de distinction entre le jour et la nuit. La pluie tombe constamment et on perd la notion du temps. Des publicités sur les dirigeables incitent les citoyens à rejoindre les nouvelles colonies. La terre semble vivre ses dernières années, les animaux ont disparu et sont devenus un luxe pour l'homme. Des sortes de pyramides surplombent la ville, elles abritent les riches, alors que le peuple grouille dans les rues. La ville est devenue cosmopolite, mais à forte consonance asiatique, avec un soupçon d'orient.
Cette ville est fascinante, tout en étant agaçante avec ses nombreux panneaux publicitaires clignotants constamment, même si cela apporte un peu de lumière dans ce monde devenu obscur. Coca-Cola se taille la part du lion, cela en devient énervant et on constate qu'au début des années 80, la publicité était déjà omniprésente dans les films. La musique de Vangelis parvient à rendre cet univers moins sombre. Même si le compositeur n'utilise que l'électronique pour ses œuvres, il en abuse pas et épouse parfaitement la beauté des images. Elle est hypnotique, comme la réalisation de Ridley Scott faisant aussi preuve de retenue en esthétisant pas à l'excès cette ville polluée. Les survols à bord des véhicules utilisés par Rick Deckard et Gaff sont sublimes, comme lorsqu'ils approchent les grands bâtiments semblables à des pyramides. L'émotion reste intact, cela reste un plaisir de revoir ses plans mythiques.


Rick Deckard est une sorte de Philip Marlowe du 21ème siècle. Le film reprend les codes du polar à travers ce personnage affublé d'un imperméable porté col relevé et ayant une forte propension à se verser des whiskys. Rachel représente la beauté fatale, celle qui va causer sa perte. Sa beauté est vénéneuse, mais aussi fragile. Elle ressemble à une poupée en porcelaine, avec son teint blafard et ses lèvres d'un rouge flamboyant. Répliquante ou humaine ? La question sera vite réglée, mais pas sa situation, ni leur relation.
En parallèle, il continue de traquer les répliquants. Ce sont des Nexus 6, un modèle amélioré d'une durée de vie de quatre ans. Il ressemble à l'homme, mais à la différence de ce dernier, il ne fait pas preuve d'empathie, mais est-ce vraiment spécifique à eux ? Roy Batty (Rutger Hauer) est leur charismatique leader, il est accompagné de son amie Pris (Daryl Hannah), de Leon (Brion James) et Zhora (Joanna Cassidy). Ils sont à la recherche de leurs "créateurs", afin de savoir combien de temps ils leurs restent à vivre.


Le film est fascinant. Le temps a fait quelques ravages, surtout dans l'interprétation ou certaines réactions peuvent prêter à sourire. Harrison Ford est loin des personnages qui l'ont rendu célèbre : Han Solo et Indiana Jones. C'est un rôle dramatique, l'atmosphère est sombre et ne prête pas à sourire. Ce n'est pas pour autant assommant, ni pesant. Le charme de Sean Young adoucit l'ambiance, tout en apportant une douceur qui semble avoir disparu de ce monde. Mais en dehors de ce sublime duo, il y a William Sanderson interprétant JF Sebastian, un homme/enfant à la candeur émouvante. De nos jours, on le qualifierait de "geek", il vit seul avec ses jouets, avant que sa zone de confort soit souillée par la présence de Daryl Hannah à la beauté troublante.
Ces acteurs(trices) sont pour la plupart débutants, cela se ressent face à Harrison Ford qui commence à être un acteur confirmé. Mais face à lui, il y a Rutger Hauer un acteur hollandais habitué des films de son compatriote Paul Verhoeven. A travers son regard bleu acier, on ne voit tout d'abord que de la violence, avant que son discours final improvisé, bouscule toutes nos convictions avec l'envol d'une blanche colombe.


Il y a de la poésie et réflexion dans cette oeuvre majeure d'anticipation. A l'heure où les débats se font de plus en plus présent sur l'état de notre terre, où on tente de trouver des solutions pour limiter la pollution, du moins si elles ne limitent pas l'enrichissement des puissants. Ce Los Angeles de 2019 peut-être considéré comme notre futur. Certes, il ne sera pas dans cet état dans quatre ans, mais on peut déjà voir des nuages de pollution sur de grandes villes comme Delhi, Karachi ou Doha. Le monde tombe en ruines et le film rappelle ce terrible constat, en nous montrant une vision pessimiste de notre futur.
On retrouve aussi l'écart devenant de plus en plus alarmant entre les riches et les pauvres. Ils sont installés dans des pyramides, tels des pharaons soumettant les gens à leur diktat. Alors que le peuple semble devoir survivre dans la crasse des rues qu'ils surplombent. Pire encore, les répliquants sont des esclaves pour eux. Les humains ne suffisant pas à combler leurs exigences et la plupart étant partis dans les colonies, ils ont mis au point ces androïdes pour satisfaire leurs besoins. Ils ont aussi crée des animaux face à la disparition de ceux-ci. On peut d'ailleurs s'amuser à trouver quel animal représente chacun des protagonistes. C'est aussi une des grandes différences avec le livre, où l'animal à une plus grande importance et surtout un moyen de résoudre certaines énigmes.


A sa sortie, le film a reçu des critiques assassines. Ce fût un échec aux états-unis, où l'oeuvre semble plus propice à satisfaire le public européen, avec ses longs moments de contemplation. Avec le temps, il sera réhabilité aux yeux du monde. Il va même devenir le film préféré des scientifiques dans le genre anticipation. Malheureusement, Philip K. Dick n'aura pas eu le temps de voir le film terminé. Il décédera en mars 1982, en laissant de nombreuses œuvres majeures, dont Ubik ou Le maître du haut-château. La plupart ont été adapté au cinéma, comme Minority Report, Total Recall ou L'agence, tirés de ses nouvelles.
Selon la légende, il aurait apprécié un montage de quarante minutes de Blade Runner. Il se serait retrouvé dans la vision futuriste de notre monde, tout en étant séduit par la beauté des plans. Même si son roman est différent du film, on est aussi sous le charme de la beauté visuelle de l'oeuvre. Certaines images et scènes sont inoubliables. Le long-métrage est intemporel, le temps a eu un peu de prise sur lui, mais cela reste un moment de cinéma envoûtant et inoubliable.


La magie du film opère toujours sur moi. C'est surtout la découverte de la version de Ridley Scott, qui laisse moins d’ambiguïté sur Rick Deckard, mais offre une fin ouverte. Le plaisir du film se vit aussi en dehors de la salle, il permet de réfléchir sur notre société, tout en interprétant chacun à sa manière le final. C'est un classique incontournable du cinéma d'anticipation, mais aussi du cinéma en général, dont l'influence se fait encore ressentir de nos jours.

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le 17 oct. 2015

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Laurent Doe

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