Ou le rêve d’Icare.

Ou Robert Altman tel qu’en lui-même pendant sa période la plus créative – entre Mash et le fabuleux John McCabe – entre surréalisme, provocation et poésie pure.

Dès l’attaque sur le clavier, on a compris : l’hymne américain, mais massacré, puis repris à la demande de la cantatrice, avec dans le même temps la reprise du générique (le titre et la suite, deux fois …), mais repris sous une forme bien moins institutionnelle. On n’a plus qu’à se laisser porter.

Un adolescent, réfugié dans un abri atomique qui rêve d’envol et de liberté,

Un ange-gardien au féminin, plus que protecteur, escorté d’un volatile immobile – et « le corbeau dit : jamais plus »,

Un hall immense, et des décors qui inspireront, aucun doute, la plus grande période de Terry Gilliam,

Un maître enquêteur, répondant au nom de Shaft, blanc évidemment, à peu près inutile (jusque dans sa recherche proctologique), et disparaissant avant d’avoir découvert quoi que ce soit (là ce sont les Coen qui retiendront la leçon),

Une conférence délirante, du comportement comparé des oiseaux et des hommes, en direct (avec squelettes et cris) ou en voix off, décalée par rapport aux images présentées, ou pas – ainsi de la traduction humaine du casoar …

Et des fientes d’oiseau, du guano (recouvrant les cadavres de tous ceux qui cherchent des ennuis à l’apprenti aviateur)
« Regardez-les, vieux coqs, jeunes oies édifiantes,
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu’eux,
Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente … »

Un travail sur la bande son magistral, comme toujours,

Et un casting déconcertant, peuplé d’acteurs très singuliers, Bud « Harold et Maud » Cort, Sally Kellerman en ange très présent, Shelley Duvall lunaire et anorexique, René Auberjonois en très singulier ornithologue, Stacy Keach très déguisé, la famille d’Altman est en train de se constituer,

Et, comme toujours, des intrigues parallèles, avec démultiplication des personnages pour mieux tout embrouiller …

L’intérêt décroît un peu dans la seconde partie – quand le récit commence à devenir linéaire et plus prévisible. Mais il reste les deux grands morceaux de bravoure :

• Une poursuite à quatre voitures, certes très différente des propositions de Friedkin, mais extrêmement originale, avec des grands angles sidérants,
• Et le magnifique final, avec l’envol d’Icare dans le hall immense …

*… L’EMPECHENT DE VOLER

Icare sera trahi par ses femmes, et leur jalousie , humain trop humain – l’ange, s’éloignant, minuscule dans l’espace immense avec son corbeau en bandoulière ; et la femme effrayée par les perspectives ouvertes, l’azur, l’éther, l’évasion, la liberté…

Robert Altman est aussi très pessimiste et le rêve d’Icare est condamné à n’être qu’une (belle) illusion.

Reste alors à lancer le générique de fin – très différent de l’ouverture du film mais pas moins original.

P.S. En bonus, le tableau célèbre de Breughel. Et pour ceux qui ne le connaîtraient pas, une recherche sympa (et pas évidente) : où est donc Icare ?

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c2/Pieter_Bruegel_de_Oude_-_De_val_van_Icarus.jpg
pphf
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Une anthologie très aléatoire des critiques publiées sur Senscritique, mais surtout pas un palmarès et Accroches

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le 28 janv. 2015

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