Greengrass et Hanks : un cocktail détonnant

En 2009, le réalisateur Peul Greengrass essayait de se détacher de la saga des Jason Bourne (ayant été à la tête de La Mort dans la Peau et La Vengeance dans la Peau) avec Green Zone (même si Matt Damon était encore une fois en tête d’affiche). Un film efficace qui a été terni par un mauvais accueil aux États-Unis, qui ont, en bref, reproché au film d’être anti-américain (un long-métrage rappelant les mauvais épisodes de l’histoire des États-Unis – ici, la guerre en Irak –, ça ne loupe pas !). Pour son nouveau film, Greengrass s’efforce donc de revenir dans le cœur des Américains, en contant une histoire qui leur est favorable (le sauvetage d’un compatriote de la Nation). Sauf que Greengrass est d’origine britannique, et que Capitaine Phillips n’est qu’un prétexte pour faire perdurer son cinéma et donc son talent.

Richard Phillips est un capitaine comme un autre. Un de ceux qui sont mariés, ont une famille qui acceptent ce mode de vie, et qui sont appelés du jour en lendemain à se rendre dans un pays étranger afin de convoyer un bateau quelconque. Lui est chargé de mener le Maersk Alabama à bon port. Mais voguer au large de la Somalie n’est pas de tout repos, tout bateau devenant une cible facile pour une troupe de pirates. Ce à quoi le capitaine Phillips et son équipage devront inévitablement faire face.

À l’instar de Vol 93 qui retraçait en détail les détournements des avions le 11 septembre 2001, Capitaine Phillips suit cette prise d’otages qui s’est passée en 2009. De l’abordage du cargo par quatre Somaliens jusqu’à la libération musclée du capitaine en question, embarqué de force à bord d’un canot de sauvetage (qui a bien plus des allures de sous-marin de poche que de bateau). En passant par les manœuvres de l’armée américaine (plus précisément les SEALS, tentant de récupérer sans encombre cet otage, avant que ses ravisseurs n’atteignent la côte. Une sorte de docu-fiction, en quelque sorte ! Un exercice qui n’est pas inconnu à Paul Greengrass (Bloody Sunday, Vol 93).

Le but d’un docu-fiction est de raconter des faits. Ni plus ni moins. Pour livrer un tel film au cinéma, il faut tout de même instaurer des éléments qui puissent intéresser le spectateur. À savoir des personnages charismatiques et de l’émotion. Et pour cela, Greengrass sait y faire ! Ici, il nous apporte sur un plateau des protagonistes d’envergure. Que ce soit le capitaine Richard Phillips (officier à cheval sur les principes prêt à tout pour sauver ses hommes) ou bien Abduwali Mase, le leader des pirates (un homme qui n’agit que pour exaucer son rêve : « gagner » » de l’argent afin d’avoir un meilleur mode de vie et de pouvoir partir en Amérique). Deux personnages amplement différents, qui éprouvent pourtant un certain respect l’un envers l’autre (cela se voit lors de faces-à-faces entre ces deux capitaines). Et qui montrent que Greengrass évite le piège dans lequel il aurait pu tomber. Celui de ne se préoccuper que de Richard Phillips et d’américaniser au possible le récit. En mettant en avant les idées telles que « nous ne laisseront pas un concitoyen américain entre les mains de ces pirates » ou encore « nous sommes l’armée américaine, nous sommes les plus forts, nous allons les pulvériser ». Non ! La seule preuve de patriotisme se résume à un plan furtif du drapeau de l’oncle Sam. Sinon, Capitaine Phillips s’intéresse autant au sort du personnage éponyme que de ses ravisseurs.

À aucun moment le film ne « zombiefie » les Somaliens. Alors qu’ils auraient très bien pu se présenter comme des méchants sans âme, Capitaine Phillips préfère dévoiler les relations qui les unissent. Via le fonctionnement de leur raid (ces pirates devant voler puis payer leur « employeur ») et des discussions sous-titrées que nous, spectateurs, sommes les seuls à comprendre (alors que occupants du bateau restent dans l’ignorance). Ce qui nous permet de s’attacher à eux, malgré leur statut d’antagoniste. Bref, Greengrass et le scénariste Billy Ray se sont risqués à leur donner une âme. Et cela fonctionne ! Du coup, se sont les soldats américains qui se montrent aussi déshumanisés que des machines. N’obéissant qu’aux ordres et au protocole, sans broncher.

Mais les personnages ne doivent pas leur charisme qu’à leur traitement scénaristique. Ils peuvent remercier leurs interprètes. Qui arrivent à faire croire à l’authenticité du récit. Qui font ressortir au film tout son côté documentaire. En même temps, qui mieux que des Somaliens pour jouer des pirates somaliens ? Tel que Barkhad Abdi (interprète de Muse), véritable révélation du film. Faisant face à un acteur de renommé qui retrouve ici ses lettres de noblesse : Tom Hanks. Retrouve car il faut bien admettre que le célèbre Forrest Gump n’avait plus vraiment la cote ces dernières années. Enchaînant les rôles de blockbusters classiques (Da Vinci Code et Anges & Démons), les personnages qui passent inaperçus (Extrêmement fort et incroyablement près) et même les réalisations douteuses (Il n’est jamais trop tard). Ici, il flirte à nouveau avec un rôle à Oscar. Si au début du film, l’acteur peut faire douter (à jouer les personnages au sang-froid), il ne cache en rien la peur qu’il éprouve face au danger (son regard reflète toute la terreur qu’il éprouve). Jusqu’à ce qu’il craque complètement, devenant méconnaissable. Pour finir par une séquence à l’infirmerie des plus prenantes émotiollement, l’acteur jouant à fond la carte du « protagoniste en état de choc ». Après Philadelphia et Forrest Gump, le troisième Oscar du Meilleur acteur n’est vraiment pas loin !

Un autre Oscar que le film mérite amplement, c’est celui de la mise en scène. Si Paul Greengrass s’est déjà merveilleusement illustré dans ses œuvres précédentes (les Jason Bourne, notamment), il dépasse encore les limites de l’extase ! Et pour cause, Greengrass à cette faculté de fournir une énergie folle à ses images. Une caméra qui bouge dans tous les sens, certes. Mais qui ne lâche le spectateur à aucun moment. Lui permettant d’entrer dans chacune des scènes du film. Une fusillade ? On voudrait s’accroupir comme les personnages. Une nage inespérée pour s’enfuir ? Nous sommes dans l’eau avec le personnage. Un décor claustrophobe pour le canot de sauvetage ? Nous nous sentons pris au piège, avec cette impression de manquer d’oxygène. Des exemples, je pourrai en donner encore et encore tant Capitaine Phillips est riche en adrénaline. Même dans les séquences d’émotion, les rendant tout simplement prenantes. Un docu-fiction trop long avec sa durée de 2h14 ? Je peux vous assurer que vous ne verrez pas le temps passer !

Il est vrai que Capitaine Phillips, tout comme Vol 93, ne vas pas au-delà de la reconstitution. N’osant pas se risquer dans les thèmes qui peuvent faire polémique. Le film a le mérite de s’intéresser aux Somaliens. Mais il faut bien avouer que le scénario aurait pu se pencher un peu plus sur leur histoire. En insistant plus fortement sur leurs raisons de s’abandonner à la piraterie et de risquer leur vie au point d’en supprimer.

Qu’importe ! Capitaine Phillips se présente comme l’un des meilleurs films de cet automne. Nerveux, palpitant, spectaculaire (et ce pour un budget de seulement 55 millions de dollars), touchant et superbement interprété. Encore une fois, Paul Greengrass livre un long-métrage de qualité. Et il nous tarde de voir le prochain !
sebastiendecocq
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le 29 nov. 2013

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