[ALERTE SPOIL]

Chaque fois qu'elle entre dans le salon, j'oublie tout.

J'oublie Jamale qui passe tellement de temps chez nous qu'on pourrait croire qu'elle travaille ici. J'oublie ses éternels castings et ses caprices dépassés de la star qu'elle ne sera jamais. J'oublie nos encouragements futiles - il faut bien la soutenir - et ses espoirs qui sonnent un peu faux, même pour elle. J'oublie sa peur de vieillir qu'elle tente comme elle peut de nous cacher. J'oublie combien ce doit être difficile pour une mère célibataire, d'élever ses deux enfants en gardant une vie de femme.

Ces moments précieux où un simple shampooing cache des trésors d'intimité me font oublier le mariage de Nisrine avec son prince charmant. L'événement qui nous rassemble autour d'elle, pour lequel nous aimons nous réjouir. J'oublie qu'elle me demande de porter une jupe, pour une fois. J'oublie qu'elle subit de plein fouet le poids des traditions et que nous allons même l'aider à les porter jusqu'au bout de leur absurdité, ces traditions.

J'ai parfois l'impression de ne vivre que pour retrouver ces instants magiques où je ne pense plus à la pauvre Rose, restée seule pour s'occuper de sa sœur un peu simple. Rose qui ne vient chez nous que parce qu'elle est la voisine, refusant aussi catégoriquement nos soins que Jamale nous en réclame. Je ne pense plus à cette sœur, poids si lourd pour elle et qu'elle choisit pourtant toujours, ignorant son propre bonheur.

Chaque mot est un trésor que je garde en moi, oubliant même Layale qui fuit encore "Si Belle", dont elle est pourtant la patronne, pour un coup de klaxon. J'oublie sa jalousie envers la femme de celui qu'elle rejoint. J'oublie que prise dans sa passion, elle souffre trop pour s'apercevoir qu'un autre la regarde, un autre qui saurait sans doute l'aimer comme elle le mérite.

J'oublie même parfois que ce salon, notre espace de liberté exclusivement féminin nous permet de rêver à un monde meilleur, et je crois presque qu'il existe. Un monde où un homme et une femme pourront se donner rendez-vous sans être accusés de pêcher par des autorités trop vigilantes. Un monde où je pourrais l'aimer comme il se doit, comme je le veux.

Alors je savoure les instants. Chaque moment avec elle est tout de même mieux qu'un rêve. Et si ce monde n'existe pas je ferai avec le nôtre. Et je sais qu'aujourd'hui, alors qu'elle a accepté que je lui coupe les cheveux, j'ai déjà eu ma victoire.
Nomenale
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le 27 mars 2014

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Nomenale

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