La tâche n'était pas aisée d'adapter la pièce de théâtre de Yasmina Reza. Polanski s'en sort pourtant brillamment en signant un huis clos focalisé sur les tensions humaines et les façades de politesse dictées par nos codes moralisateurs occidentaux.
Le réalisateur parvient ainsi à échapper aux clivages du théâtre en instaurant un climat purement cinématographique. L'art de cette adaptation réside alors dans la mise en scène : admirable et froide, une succession de plans rapprochés et de plans larges, donnant tantôt un aperçu des tensions internes et physiques de chaque personnage pour ensuite s'en éloigner et les montrer tous ensemble dans leurs postures guerrières. Ils ne jugent plus simplement les actes de leurs enfants, ils se jugent entre eux et en arrivent à juger le monde lui-même.

La principale performance de ce film réside à la fois dans le scénario et dans le jeu des acteurs. Reza s'était déjà essayé au huis clos poignant avec Art, un véritable délice de dialogues exacerbés et plus tranchants les uns que les autres. Mais Carnage est nettement différent et s'inscrit dans un registre beaucoup plus sérieux et emprunt de l'actualité aussi bien politique que pharmacologique. Ici, c'est l'atmosphère elle-même donnée au film par les dialogues et les acteurs qui fait de Carnage un petit bijou, malgré son caractère plus effacé dans la filmographie du réalisateur.

Sur le plan scénaristique, Carnage est focalisé sur les rapports humains, enfermés dans des règles de politesse trop exiguës pour contenir la colère interne de chacun des protagonistes. Chassez le naturel et il revient au galop : les masques tombent au fur et à mesure que la tension monte. Des alliances entre les personnages se forment et se disloquent, passant de l'opposition entre les deux couples à l'opposition homme/femme notamment à la fin du film, pour finalement se terminer sur un retour à la situation d'origine : une confrontation entre deux couples. Seulement, désormais, les couples eux-mêmes souffrent de blessures internes exposées au grand jour par leurs « rivaux ».
Le dieu du carnage s'amplifie tout au long du film pour réduire la politesse et le self control de ces deux couples à néant et révéler des individus à fleur de peau et au caractère surprenant.
Un mouvement perpétuel est instauré par les piques de tensions, malgré la réduction scénique à un appartement et sa cage d'escalier. La maximisation de l'espace est superbe. Mais les règles du huis clos sont quelques peu bafouées lorsque l'on réalise que les tensions sont dictées par des interventions extérieures à la scène, telles la crise de nausées de Nancy, les coups de téléphones de la mère de Michael et ceux des associés d'Alan.
Finalement, les laissés pour compte sont les enfants, alors qu'ils sont la cause de toute cette discussion. Seule une question demeure : est-il bon de se mêler des querelles d'enfants ? Car ici, cette querelle puérile atteint des sommets machiavéliques dans la cour des grands. Les piques et attaques y sont plus vicieuses et moins frontales. Ils n'ont pas à se battre avec de vraies armes pour se détruire : la parole et les non dits sont amplement suffisants.

Ce huis clos nous étouffe et nous rend euphoriques. On ne peut que rire de ces adultes puérils, alors qu'ils portent en eux le reflet et la caricature des faiblesses de notre culture occidentale. C'est pour cette raison qu'ils en reviennent à un traitement des conflits plus primaires : la loi du plus fort. Un régal visuel et auditif : que le carnage commence....
Cerise_V_
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le 21 oct. 2014

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