Disons-le tout de go : on ne va pas voir une adaptation de pièce de théâtre au cinéma pour ses qualités esthétiques. Non pas que Carnage soit affreux sur ce point, mais Polanski n'a pas le talent de Lumet en matière de huis clos, avec une gestion de l'espace assez étriquée et de nombreuses erreurs de continuité (virez le scripte qui a eu la bonne idée de remplacer un canapé par deux fauteuils en plein milieu du métrage). Malgré tout, le film reste agréable grâce à une bonne lumière et des cadrages théâtraux vraiment bons.
Non, si l'on va voir Carnage, ce n'est pas pour Polanski, mais bel et bien pour Yasmina Reza et surtout le formidable quatuor d'acteurs. Le Dieu du carnage est une excellente pièce, ici très bien transposée à la culture américaine, et la voir interprétée par quatre des meilleurs acteurs contemporains (si ce n'est les meilleurs, bisous Kate) est évidemment particulièrement jouissif. Les deux couples sont très crédibles (malgré une différence d'âge à la vie de vingt ans entre Waltz et Winslet, quand même), bien caractérisés, et surtout charismatiques en diable puisque l'on s'attache très rapidement à chacun des protagonistes.
Le rythme est très théâtral lui aussi, ce qui étrangement ne choque pas plus que cela ici. La montée en crescendo vers la colère est bien dosée, peut-être bien mieux qu'au théâtre justement, la caméra permettant une multiplicité des points de vue là où la scène ne propose qu'une vision d'ensemble. Forcément, c'est drôle, très drôle, autant dans l'écriture basée sur une fuite en avant laissant craindre le pire à chaque instant, que dans les interprétations. Les alliances se font, se défont, les masques de la convention sociale tombent progressivement et chacun en prend pour son grade. C'est limite frustré que l'on ressort de la salle, tant les 80 minutes du métrage paraissent filer à toute allure (en même temps, 1h20, même les films Disney sont plus longs de nos jours), et pourtant tout a été dit. En même temps, que pourrait-on rajouter après que les protagonistes se soient tous accordés sur cette journée qui s'avérera être la pire de leur existence ?
Bref, un film drôle, bien écrit, bien interprété et bien mis en scène, qui ne s'embarrasse pas d'une complexité étriquée pour véhiculer son message. C'est tout ce que l'on attend d'un bon portrait de notre société actuelle. Si la réalisation ne brille pas de mille feux, l'intérêt est ailleurs, donc ne passez pas à côté de cette occasion d'aller au théâtre pour une fois, même face à une simple toile tendue sur un mur.