Avec un minimum de bagages en connaissance psychologique, on connaît tous l'expérience de Stanley Milgram sur la soumission en 1963 (sinon je vous conseille vraiment de vous renseigner sur son propos). De cette expérience découle un film qui s'inspire quasiment trait pour trait d'un fait divers qui s'est déroulé en 2004 aux Etats-Unis dans plusieurs épiceries et fast-foods, notamment de l'enseigne McDonald's.

Difficile de croire en un tel sujet et si l'on regarde ce film sans s'être préalablement renseigné sur le fait réel dont il s'inspire, alors oui vous trouverez le traitement peu crédible, spécialement dans sa dernière partie. Pourtant aussi choquant soit-il, aussi dégoûtant soit le monde, aussi peu sensibles soient ces personnes, cette histoire s'est déroulée telle qu'elle est racontée. Craig Zobel a fait un brillant travail d'investigation et moi-même en quelques recherches d'articles anglophones sur le sujet, j'ai pu me renseigner de manière générale sur ce terrible incident. Craig Zobel va jusqu'à reprendre certains dialogues au mot près et à les intégrer dans son film. Le réalisateur lui-même savait que son film serait une source de polémique et que pour beaucoup, il serait difficile de croire à l'entière soumission de ses personnes, convaincu par l'image de la voix l'autorité. L'influence de cette voix rappelle fortement celle de Phone Game de Joel Schumacher. Ces deux films ont le mérite de capter notre attention pendant 1h30 alors qu'on assiste simplement impuissant à un appel téléphonique de très mauvais goût.

Etant employé dans une structure de restauration rapide, je peux dire que la première partie du film, qui pose le contexte, dévoile certains aspects de ces restaurants et surtout montre l'intensité et le stress des périodes de "rush" (ces moments où grosses fréquentations) dans une description relativement conforme. J'ai retrouvé de manière semblable certaines caractéristiques de mon restaurant et à partir de là, je sentais que Compliance posait déjà, de façon très réaliste, les bases, l'environnement et les éléments fondamentales qui influeraient sur les actions et réactions de toutes les personnes ayant un lien avec cette affaire.

Un simple coup de fil, une accusation, un entretien, des conversations, des choix, des hésitations. L'ensemble du film repose sur la capacité des gens à réagir à tel message dans un contexte donné. Ici, en période de rush et de stress intense où il faut gérer son restaurant et où le manager ne peut se permettre de perdre du temps hors du terrain, les décisions sont vite prises. Surtout quand on se déresponsabilise lorsque c'est une voix d'une autorité supérieur à notre condition. Fouille des vêtements, déshabillement partiel puis total, fouille corporelle, gestes déplacés, actes sexuels. Le tout s'enchaîne de manière très crescendo et très brusque. Je reconnais qu'il est difficile d'y croire. Que les actes sexuels sordides qui en découlent pourraient sembler surréalistes. Mais n'est-il pas déraisonnable de croire qu'un individu sans réelle expérience, éducation, formation puisse obéir aussi aveuglement ?

Si le scénario et son traitement font tout le film, il faut aussi noter un travail très froid sur la photographie, très indépendante, très distancée par rapport aux relations des employés mais très proche de l'ambiance pesante qui règne dans ce restaurant. Les acteurs sont corrects, et les hésitations, les actions, les dialogues font froid dans le dos. On en vient à nouveau à s'interroger sur les travaux de Milgram et surtout sur la capacité à obéir aux gens, même lorsque les ordres deviennent de plus en plus malsains. La musique est relativement discrète et laisse place au silence qui habite tout le monde lorsque l'on assiste à des séquences d'une extrême, suggestion certes, perversité. Craig Zobel fait d'ailleurs le bon choix de ne pas montrer les actes sexuels, dans le simple but de montrer le trash à l'état brut. La suggestion montrant déjà bien assez.

Il en résulte donc un film choquant, profondément marquant et interpelle la condition humaine. Il faut reconnaître que ce film en fera fuir plus d'un et pas tout le monde n’adhérera à son traitement, sans connaissance préalable du fait dont il s’inspire. Mais il s'agit là d'un fait malsain réel qui a été retranscrit à l'écran de la manière la plus froide, presque façon docu-fiction, et la plus exacte possible.

Certains se demanderont "Ne-suis-je pas déjà coupable de m'infliger volontairement cela ?". Je pense qu'il faut savoir faire la différence entre le réel et la fiction symbolique. Certains n'y arrivent pas comme en témoigne quelques exemples de fusillades aux Etats-Unis mais il s'agit de cas isolés et j'ose croire que l'homme n'est pas aussi monstrueux, répugnant et surtout insensible que l'expérience de Milgram l'a démontré.

Compliance ou le genre de film qui pourrait illustrer la théorie de Milgram sur la capacité de soumission des hommes dans un cours de psychologie.

Pas exempt de défaut mais terriblement prenant, oppressant et profondément révélateur d'une condition humaine qui n'a jamais su se détacher de sa fonction à accepter l'ordre depuis le nazisme.
Softon
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le 13 févr. 2013

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Kévin List

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