Un cinéaste évolue-t-il jamais ? Ozon aura-t-il un jour fini de simplement mettre en scène de plaisants jeux de massacre, faute d'instiller vie, saveur et épaisseur à ses personnages ?
La majeure partie de la projection, Dans la Maison semble répondre par l'affirmative. Ozon oppose deux espaces narratifs distincts : l'indécrottable couple de bobos - Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas - contre une cellule familiale de classe moyenne un peu nouveau riche niché dans une simili-suburb à la française - Denis Menochet et Emmanuelle Seigner. Entre les deux, un lycéen, Claude, au talent littéraire certain, régalant de rédaction en rédaction son prof de littérature d'un récit en construction : son incrustation progressive dans le tableau familial.

La bonne idée du film : installer le lycée comme un endroit neutre, de pure transition. L'utilisation de l'uniforme (l'établissement est choisi comme lycée-pilote par l'éducation nationale) transforme la salle de classe, la cour de recréation, les couloirs en vecteurs un peu froid de la fiction, plus tout à fait français, pas encore mondialisés, permettant au récit d'emprunter à peu près n'importe quelle direction. Germain Germain est tout à tour Pygmalion, Script Doctor, professeur inspiré, ou conspué.
Le travail d'Ozon consiste donc à opposer et faire s'interconnecter de toutes les manières possibles et imaginables deux classes sociales, de jouer en permanence sur la notion de cliché dans un mouvement perpétuel de balancement fort bien pensé mais souvent éreintant.
Le professeur en jugeant l'étude de caractère de Claude raillera ses personnages grossiers, trop caricaturaux. Des situations forcées, des rebondissements grotesques. Ozon, avec un coté petit malin moins agaçant que d'habitude, avalise les récits de Claude par le simple biais du filmage, leur donne une substance filmée donc réelle. Germain Germain n'est aux yeux du spectateur qu'un intellectuel froissé, manipulé, peu aux faits de l'Autre, de l'aspect grossier que peut proposer le Réel. Petit à petit, le film retourne le couvercle et met en avant la grossièreté du personnage de Germain : ses étérnels débats entre art figuratif et moderne avec sa femme, ses goûts littéraires typiques (Madame Bovary....), son passé d'écrivain raté reconverti prof de français. Tout concorde à l'accabler, jusqu'à la tautologie de son patronyme ; Germain Germain tel le Humbert Humbert de Nabokov, la figure ultime de l'intellectuel de mauvaise foi. Face au déferlement créatif de son jeune élève, face à sa relation décomplexée à l'acte d'écrire, le professeur ne saura formuler ses critiques que par un jeu de références bien peu productifs : "C'est du Barbara Cartland, ce que tu nous fais là!"; "mais... on dirait du Pasolini...".

Au final, le film ne parle de rien d'autre, des potentialités de la fiction. Infinies ou aux contours éternellement définis par ce qui a été fait avant ? On aimerait qu'Ozon se concentre sur cette seule et unique question, au lieu de tenter d'instiller un vertige hitchcockien dont il éprouve les plus grandes difficultés à se dépêtrer. Le film multiplie les hypothèses, les pistes jusqu'à l'étouffement jusqu'à un final en queue de poisson.
En apportant, pour un fois, un contrepoint un tant soit peu réalistique à ses habituels dispositifs référencés tocs, Ozon n'est pas loin de réaliser son meilleur film. Mais le mépris qu'il ressent pour ses propres personnages a la vie dure, et il est difficile de voire plus dans sa dernière oeuvre qu'une réflexion un peu courte sur la Création à l'heure du post-modernisme.
Antoinescuras
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le 13 nov. 2012

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