Jamais, en temps normal, je n'aurais regardé Danse Avec les Loups. Sa durée m'effraie et ma liste de films à voir est déjà surchargée. Il m'a fallu la contrainte des études sur l'Histoire des USA pour oser, sans regret mais avec appréhension, franchir le pas. John Dunbar, lieutenant Nordiste durant la Guerre de Sécession est envoyé au Fort Segwick, à la Frontière, là où l'homme blanc ne s'est pas encore établi, et où l'homme rouge redoute son arrivée imminente. Problème, les hommes qui tenaient l'endroit, miséreux et dépouillés, ont fui la zone; au diable l'armée. Ainsi, lorsque John le rejoint, le fort est déserté, il se retrouve seul face à la nature, avec un ravitaillement conséquent, tentant dans un premier temps de nettoyer la zone, de préparer la venue potentielle des troupes.


John rencontre pour la première fois un indien, peuple dont l'homme blanc cultive l'image de sauvage et de voleur. Très vite les indiens reviennent, tentant de décrypter la configuration de cet homme blanc solitaire, loin de ses pairs. Les contacts se multiplient et John commence timidement à s'émanciper de sa condition de soldat, il fugue du campement, rien, semble-t-il se rendre compte, ne l'en retenant. A cheval il parcourt les plaines, il réalise pleinement la beauté et la virginité de ces paysages.


S'il dure près de 4 heures, Danse avec les Loups ne souffre que d'une quantité peu notable de moments creux. En réalité, si le récit n'est pas profusément dense, il prend son temps, tranquillement, pour poser son intrigue principale, à savoir, l'évolution des rapports entre John Dunbar et les Sioux. L'un des partis pris vraiment intéressants est de filmer cette progression à travers le prisme des deux camps. Si John a besoin d'un journal pour raconter son histoire, exprimer son ressenti, les indiens, eux, ont leurs réunions, leurs proches. L'individu contre la communauté. L'on commence alors par la communication, étape délicate, puis c'est John qui peu à peu va rejoindre la tribu et tenter de se faire accepter. Chez les indiens, chacun se méfie et a ses doutes. Par conséquent, son intégration est lente et même s'il fini par les rejoindre, les Sioux restent lucide, expliquant à plusieurs reprises qu'il n'est pas comme les autres blancs.


Oui, il n'est pas comme les autres, lui a la volonté de s'ouvrir aux autres, de tenter de comprendre, de voir en eux autre chose que les sauvages dont on raconte les méfaits aux enfants afin qu'ils se tiennent tranquille. Vivre parmi les Sioux n'a rien à voir avec ce qu'il a pu connaitre auparavant; s'il veut se faire une place, il doit se consacrer pleinement à sa nouvelle vie, et l'initiation passe par la perte partielle de son ancienne identité. Partielle car son expérience et son savoir peuvent aussi servir les Sioux. Un scène résume parfaitement l'ambivalence de cet échange : Lorsqu'un indien s'accapare, l'air de rien, le chapeau de John et que ce dernier ne sait pas trop s'il doit le réclamer ou non. A ce moment précis, deux évènements vont faire basculer les deux groupes vers une autre dimension et, en quelque sorte, inverser les rapports : Les deux partis vont trouver un arrangement, le chapeau contre un sorte de collier, John cède, après hésitation, le symbole de son investissement dans l'armée, après avoir plus ou moins déserté, il abandonne son équipement et reprend à son compte leurs coutumes vestimentaires, il n'est dorénavant plus un homme blanc. D'autre part, John vient tout juste d'apprendre aux Sioux, à qui la notion de propriété reste encore vague, à faire des affaires. Eux reprennent un système qu'ils ignorent encore et qui participe à la dénaturalisation de leurs traditions. Dans le même genre, John leur distribue des armes à feu afin de se défendre contre d'autres tribus. Et ils aiment ça, en redemandent, désirent apprendre à mieux s'en servir. C'est cet équilibre impossible entre deux civilisations que le film nous raconte; une rencontre qui ne peut se passer sans compromis, ni sans rapport de force. Cruelle ironie, sans le savoir, ni le vouloir, et même avec les meilleures intentions du monde, John participe à la désintégration de la culture Amérindienne pour laquelle il a tant de respect.


Au milieu de tout ça, il y a Dressée avec le poing, une femme blanche recueillie durant son enfance par les indiens. Elle n'a plus parlé anglais depuis et dégage la plus grande des pudeurs quand il s'agit d'interpréter et d'assurer les échanges entre John et ses pairs. Malheureusement, malgré une importance scénaristique potentielle, la présence de Dressée avec le poing demeure trop inespérée pour être vraisemblable et donne plus l'impression de bêtement remplir un cahier des charges nécessitant une romance et un minimum de dialogue en anglais. Effet renforcé avec cette scène de flashback détruisant la linéarité conçue à travers le film, maladroite et laide.



J'aimerais voir la frontière avant qu'elle ne disparaisse



disait-il avant son départ au début du film. La relative tranquillité du monde Amérindien ne doit pas faire oublier la menace pressante et pour l'instant invisible. En effet, après 3 heures de film hors de la société de l'homme blanc, John décide de retourner au Fort Segwick, il veut retrouver son journal, sa trace écrite. Et c'est en cherchant à ne pas oublier d'où il vient que la réalité et son urgence se jettent de la plus violente des manières sur lui. John est vêtu à la façon de ses nouveaux amis, l'armée est arrivée, il n'en faut pas plus pour que ces derniers ne l'attaquent et ne tuent, au passage, son cheval, fidèle compagnon et l'un des tout derniers liens entre deux civilisations. Dés lors, c'est l'horreur : La bêtise, l'insolence, la laideur, l'ignorance, l'immoralité, l'homme blanc dans toute sa splendeur, affligeant le spectateur qui maintenant le méprise, l'abhorre de toute ses forces. Qui sont-ils, ces monstres, pour se croire au centre du monde ? De quel droit viennent-ils s'accaparer ces terres, imposer cette idée de propriété, massacrer des populations desquels ils auraient tant à apprendre ? Si Danse avec les Loups est si long, si pendant 3 heures les seuls blancs filmés sont Dressée avec le poing et John Dunbar, c'est aussi pour insister sur ce contraste, opposer deux sociétés humaines dont l'une, dans son égocentrisme démesuré, désire acculer l'autre. A l'inverse de la relative tranquillité du chapitre indien, le film s'emballe, gagne en intensité lorsqu'il s'agit de parler du colonisateur, symbole d'une extension courte et acharnée. Dans un souci de réalisme, le film ne laisse pas d'espoir germer, l'homme blanc viendra bien, et à l'image des Sioux fuyant, il prendra aussi le contrôle de ces territoires.


Par ailleurs, des offenses les plus récurrentes faites à Danse avec les Loups, celle concernant son manichéisme me parait être la moins valide : Le ton global assure certes un fort alignement avec les Sioux, victimes historiques, mais le sentiment de méfiance, d'animosité et d'incompréhension est mutuelle. Si les indiens en avaient eu la possibilité, ils auraient sans doute repoussé les colons vers l'Europe, ce que le film nous fait comprendre avec cette intégration lente et exigeante. S'il veut faire parti de leur tribu, il ne doit plus être un blanc.

Poulika
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le 12 avr. 2015

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