Bonne nouvelle ! Les vampires ne sont pas ces créatures désincarnées décrites par Stephenie Meyer dans Twilight, la Saga du désir interdit, dont le discours subliminal sur l'abstinence sexuelle est avant tout une propagande sournoise destinée à instiller dans l'esprit de ses fans –surtout adolescents- les préceptes rétrogrades de la morale mormone. Pour se convaincre que la chair des morts-vivants suceurs de sang palpite encore, il suffit de remarquer le regard de Barnabas contemplant le décolleté généreux d'Angelique : de toute évidence, ils ont encore soif de vie (et de bien plus !)...

Par la même occasion, Tim Burton nous prouve qu'il est, lui aussi, bien vivant, contrairement à ce que prétendent -avec une once de mauvaise foi- certains commentateurs. Je parle de mauvaise foi, car on reproche depuis quelques années à ce cinéaste tout et son contraire. Lorsqu'il explore un nouvel univers esthétique (Alice au pays des merveilles, injustement méprisé), on dit qu'il perd son âme. Quand il revient au style et aux thématiques qui ont fait son succès, on l'accuse de se répéter, de tourner en rond. Des critiques antithétiques qui me semblent plus relever de l'iconoclastie primaire que de l'analyse impartiale. En témoignent les propos de certains détracteurs de Dark shadows, qui avouent qu'ils seraient moins sévères s'il était signé d'un autre réalisateur, moins prestigieux. Je crois pour ma part que la qualité d'un film ne peut pas être à géométrie variable. Elle dépend de critères objectifs (mise en scène, scénario, photographie...), non pas de la réputation de son auteur...

Ainsi, après avoir été exagérément encensé dans un passé récent, Tim Burton est-t-il aujourd'hui vilipendé plus que de raison. L'attitude d'une partie du public à son égard est sans doute le reflet de la manière qu'a la société actuelle d'appréhender le monde de l'art. Une manière qui s'apparente au flux et au reflux des marées : s'y succèdent des vagues d'enthousiasme irraisonné et de désamour tout aussi insensé. Ce zapping intellectuel oublie qu'une œuvre –au sens global du terme- se construit sur la durée. Ce ne sont pas ses sommets qui en font nécessairement la valeur, mais sa cohérence, son intelligence, sa beauté, son originalité, sa sincérité...

Pour ce qui me concerne, je n'ai pas boudé mon plaisir devant Dark shadows. Ce n'est certes pas un chef-d'œuvre, ni le meilleur film de Tim Burton. Cette adaptation de la série télévisée éponyme de Dan Curtis n'en est pas moins fort réjouissante. Le cinéaste lâche la bride à son imagination extravagante, composant avec Bruno Delbonnel -Le fabuleux destin d'Amélie Poulin, Un long dimanche de fiançailles, Harry Potter et le Prince de sang-mêlé- une palette hallucinée, où se percutent ombres gothiques et couleurs psychédéliques (photo).

De son côté, Rich Heinrichs, le complice du réalisateur depuis Pee-wee big adventure, fait du manoir de Collinwood un monstre de délires baroques, avec des décors délicieusement fantasques et composites (d'antiques figures de proue voisinent avec des posters d'Alice Cooper...), dont les proportions démesurées sont encore accentuées par l'usage des contre-plongées (photo).

L'intrigue de Dark shadows est centrée autour du vampire Barnabas Collins, un personnage apparu tardivement dans la série, au 211ème épisode, mais devenu rapidement l'un des pivots du programme. Johnny Depp lui insuffle toute la délicieuse folie dont il est capable.

Néanmoins, ce film vaut surtout pour son casting féminin. Cinq générations d'actrices sont réunies devant la caméra de Burton. Citons tout d'abord Chloë Grace Moretz, l'une des jeunes comédiennes américaines les plus en vue du moment, avec Elle Fanning. La jeune fille fait montre une nouvelle fois de l'étendue de son talent. On regrettera seulement que son rôle d'adolescente rebelle et ambigüe ne soit pas davantage développé. Quant à sa transformation finale en loup-garou, que quelques-uns ont trouvé incongrue, il faut se rappeler que la série d'origine possédait un bestiaire fantastique très varié. Rien de déplacé, donc, dans cette métamorphose.

A ses côtés, Bella Heathcote -à l'affiche de Killing them softly d'Andrew Dominik, sélectionné cette année au Festival de Cannes-incarne à la fois Victoria Winters, la gouvernante de David, et Josette du Pres, l'épouse de Barnabas. Sa diaphanéité convient parfaitement aux deux héroïnes, presque aussi irréelles l'une que l'autre (photo).

Je ne m'étendrai pas sur Eva Green (je parle bien sûr de sa prestation, pas de son corps...), pour ne pas donner l'impression que ma critique positive est uniquement inspirée par ses formes damnatrices, et ainsi annihiler mon préambule sur l'objectivité... Il faut toutefois bien reconnaître qu'elle possède la beauté du Diable ! Et son visage de porcelaine se craquelant, lors de l'affrontement final, est sans doute l'une des plus belles idées de cinéma de ces dernières années (elle n'est pas sans rappeller l'une des affiches de Black Swan).

Helena Bonham Carter, toujours aussi méconnaissable (voilà au moins une actrice qui n'hésite pas à maltraiter son image), est quant à elle absolument irrésistible en psychiatre excentrique. De son côté, Michelle Pfeiffer se glisse dans la peau d'Elizabeth Collins Stoddard, jouée dans la série par la divine Joan Bennett, qui fut la muse de Fritz Lang (Man hunt, La femme au portrait, La rue rouge, Le secret derrière la porte). L'interprète de Catwoman (Batman : le défi) est définitivement d'une classe absolue...

Aussi divertissant soit-il, Dark shadows n'oublie pas d'être subversif. Burton adresse ainsi un pied de nez jubilatoire aux fadaises de Stephenie Meyer, en faisant de Barnabas et d'Angelique de véritables obsédés. Leurs retrouvailles, après deux siècles de séparation, se transforment en une étreinte dantesque où se libèrent leurs instincts les plus primaires. La vision qu'il nous donne de la famille n'est pas non plus des plus orthodoxes, et va à l'encontre des codes du cinéma américain.

Avec Dark shadows, Tim Burton nous prouve qu'il est bel et bien l'héritier des expressionnistes. Il ne reçoit cependant pas ce legs servilement. Il lui ajoute une touche d'humour très personnel. Et si le rire nait ici essentiellement des anachronismes, notamment de langage, celui-ci est heureusement débarrassé des scories vulgaires qui rendaient insupportable Les visiteurs. On ne s'en plaindra évidemment pas...
ChristopheL1
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le 7 juin 2012

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ChristopheL1

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