A soixante ans, Jacques Audiard n'a plus rien a prouvé et s'est imposé sans bruit comme un des meilleurs cinéastes au monde de par sa capacité à transcender des genres avec une maetria formelle et une poésie rares pour un réalisateur hexagonal. De fait, le bonhomme fait l'unanimité aussi bien chez les amateurs de cinéma viscéral que chez ceux qui ne jurent que par le cinéma dit « d'auteur » au sens le plus prétentieux du terme. Ainsi, la sélection à Cannes de son dernier opus n'est pas une surprise même si avec le tournage rapide et chaotique du métrage (morcelé en raison de l'emploi du temps hyper-chargé de Marion Cotillard) on était en droit de craindre un résultat mal fini à l'image de l'Inglorious Bastards de Tarantino dont la postproduction fut sacrifiée sur l'autel de la grande messe cannoise....
Heureusement ces quelques doutes sont balayés lors d'un générique étrange et envoûtant qui prendra tout son sens dans les dernières minutes du film.
Dès les premières images, on retrouve la patte si caractéristique d'Audiard entre réalisme et onirisme. Le cinéaste nous offre comme à son habitude des séquences incroyables à l'image de toutes celles où intervient l'élément aquatique et dont on retiendra une danse sublime entre un orque et miss Cotillard où le passage tétanisant où le destin de cette dernière est scellé.
Le film brille également par sa photo solaire mais contaminée par la sinistrose ambiante et par la composition de ses cadres (voir le climax).
En termes de mise en scène, Audiard réalise donc un sans faute ce qui n'est finalement pas si étonnant que ça.
De rouille et d'os est en revanche son œuvre à la résonnance sociale la plus forte, l'auteur dressant le portrait sans concessions d'êtres meurtris et engoncés dans un contexte de crise économique présent au détour de nombreux plans et dialogues mais sans aucun misérabilisme. Le métrage prend même des accents farouchement anticapitalistes dans une sous-intrigue inattendue.
On est également surpris par une approche frontale du handicap rarement vue au cinéma, le script abordant sans tabous toutes les questions liées à la situation de son héroïne avec un naturel stupéfiant.
Pour illustrer cet univers très marqué, Audiard a comme d'habitude soigné son casting composé de stars et d'inconnus mais aussi et surtout de véritables gueules de cinéma. A ce titre, le réalisateur a mis le cap plein nord en choisissant une actrice du Nord-Pas-de-Calais en la personne de l'excellente Corinne Masiero et deux acteurs Belges : le formidable Bouli Lanners et le monstrueux Mathias Schoenaerts en tête d'affiche.
La révélation du génial Bullhead (vous ne l'avez pas vu ? Shame on you !) renoue ici avec un personnage d'homme enfant. Il irradie une nouvelle fois l'écran et confirme sa place parmi les meilleurs acteurs du moment à l'instar de Tom Hardy avec lequel il partage une présence physique hors du commun et un jeu d'une intensité hallucinante.
Le couple qu'il forme avec Marion Cotillard fonctionne à merveille en tant que vecteur du thème central du film à savoir l'histoire d'amour entre deux êtres handicapés physiques (elle) et sentimentaux (les deux). A ce titre, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas saluer la performance de Cotillard que je trouve d'ordinaire horripilante, mais qui trouve ici son plus beau rôle tout en sobriété.
Cette love-story destroy constitue le coeur du film mais se trouve paradoxalement pénalisée par la retenue des sentiments. En effet, on a l'impression qu'Audiard, dans son souci perpétuel de ne pas en faire trop, à volontairement brider la charge émotionnelle du métrage pour la faire surgir dans les dernières minutes du film et notamment lors d'un climax bouleversant.
Cette impression est renforcée par une structure un peu trop elliptique qui nuit à l'exposition de certains enjeux comme le comportement je-m'en-foutiste d'Ali (Mathias Schoenaerts), sa relation avec son fils où l'acceptation progressive de son handicap par Stéphanie (Marion Cotillard).
Ces quelques défauts d'ordre scénaristiques empêchent le métrage de s'imposer comme le meilleur film de Jacques Audiard, ce titre revenant à Un Prophète dont la narration était exemplaire.
De rouille et d'os n'est donc pas un chef d'œuvre absolu même si on ne saurait nier la puissance d'un métrage qui devrait faire l'unanimité comme les travaux précédents de son réalisateur.
Magnifiquement filmé et remarquablement interprété, le métrage n'est peut-être pas aussi définitif qu'escompté mais sa vision n'en reste pas moins chaudement recommandée !
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