En regardant les films de Jacques Audiard c'est toujours la notion de "cinéaste sociologique" qui me vient à l'esprit, des films porteur de son message d'un "cinéma du quotidien".

De Rouille et d'os rentre totalement dans cette vision qu'on peux avoir de Jacques Audiard : celle d'un réalisateur adaptant une nouvelle de Craig Davidson pour nous livrer un scénario simple, compréhensif et crédible. Quel travail d'écriture pourtant. Dans son scénario Audiard arrive à lier deux personnages au vies terriblement opposées sans tomber dans le piège du mélodrame larmoyant. Il met en scène les deux personnages principaux chacun dans leur place dans la société. Dans la place que machinalement, on leur donnerait, la place que les statistiques ou les politiciens leur donneraient, bref, il ancre ces personnages grâce aux préjugés et, par ce biais, les rend crédible.

Le synopsis ne s'arrêtent pas simplement à leur rencontre dans une boîte de nuit où Ali, déploie sa virilité pour dégager Stephanie, le sang chaud et la jupe courte, d'une bagarre alcoolisée.
Le film présente d'abord la France du bas : Ali (Matthias Schoenaerts) et son fils galérant pour descendre vers Nice sans argent. Les plans fixes et presque muet de cet incipit urbain nous plonges dans la routine de cet homme baraqué en survêt, le long d'une voie rapide, silencieux. On sent que le passé qu'il porte avec lui est bien plus lourd que le sac posé sur son épaule. Ali est ce qu'on appellerait un marginal à la dérive, sans argent ni logement et un gamin à charge. Il représente l'homme victime d'un passé trop rapide : un enfant qu'on imagine facilement non désiré, dont la mère semble les avoir quitté (ou l'inverse), l'homme aux yeux pétillants aime seulement laissé aller sa violence dans des combats de boxe.

La France plus acceptable et normale est celle représentée par Stephanie (Marion Cotillard). Une femme en couple, avec un travail fixe et un logement. La jeune fille est dresseuse de phoques dans un centre aquatique méditerranéen, elle est engagé dans une relation amoureuse présentée comme banalement chaotique. Audiard mets en scène ici la jeune fille du Sud de la France qu'on pourrait suivre dans un reportage sur "ces métiers étonnants" présenté sur W9. Mais pas seulement. En effet, les descriptions que je donne des deux personnages principales ne sont que clichés que Audiard va exploiter pour mieux les imbriquer et les éclater.

Ce qui va rapprocher les deux personnages est un simple fait divers qui arrive assez rapidement dans les deux heures du film. Alors que Stéphanie fait son spectacle la structure entre le bassin des orques et les dresseurs va s'effondrer, elle perdra ses deux tibias dans l'accident. Cela pourrait paraître étonnant, presque risible mais non le passage est extrêmement bien réalisé; on sent une pression montée peu à peu par ce cadrage rapproché entre le visage des dresseurs, la musique extrêmement forte (Katy perry met une ambiance très Destination Finale mais avec avec de l'esthétique). Commence alors une relation conflictuel entre les deux protagonistes ; Stephanie cherchant désespérément un regard autre que l'empathie que crée son handicape, c'est Ali qui va lui apporter avec sa simplicité et son regard amicale. Audiard crée cette proximité naissante entre les deux personnages par une caméra qui suit l'homme élancé souvent à la steadycam et des plans fixes sur la femme nouvellement handicapée. Les visites à l'hôpital est alors la séquence qui représente la césure et le passage vers une nouvelle vie pour l'ex-dresseuse. On la voit allongée, meurtrie et désespéré ; elle est nette tandis que les visiteurs dans la profondeur de champs sont totalement flous et leurs paroles sont inaudibles. Cloitré dans son mutisme on comprend la douleur de Stéphanie pour qui toute les paroles que l'on vient dire à son chevet sont enfait des adieux que vient lui faire la société. C'est à partir de ce moment et pendant une bonne partie du film que le spectateur n'est plus soumis au montage rapide et plan serré sur les sourires de Cotillard mais bien à la vision de la déchéance de la jeune fille, celle qui se sentait belle et qui aimait "exciter" les hommes. Une tentative de suicide et on l'on voit que Stéphanie abandonne et que elle même se répugne.Forcément Audiard se montre violent et certaines scènes émeut vraiment. La découverte de Stéphanie de son handicap est encore une fois exploité par un cadrage d'abord en plan d'ensemble quand elle est seule et alitée. Puis découvrant son corps mutilée elle tombe du lit et crie. Viens alors son amie qui la prend dans ses bras, vite le plan se ressert pour montrer les larmes, la douleur et le traumatisme. Certains taxerait alors Audiard de démagogue de la tristesse ou de d'user trop facilement d'empathie. Je suis totalement d'accord mais c'est si bien maitrisé que je ne m'atarderais pas à juger si cela est trop facile ou pas. Il n'y a pas de facilité dans le sentiment mais des moyens de faire passer un message quand bien même le réalisateur doit jouer avec votre sensibilité. Ne rejetons pas nos émotions sous couvert d'être des puristes ou nous oublierons le précepte qui dis que le cinéma est avant tout hypocrite,menteur et plein de faux semblants.

La première partie se termine donc sur Stéphanie dans une position plutôt délicate tandis que Ali a plutôt réussit à se débrouiller avec l'aide de sa sœur. Commence alors une vie chez sa sœur, une relation chien-enfant aussi et Ali qui va se tourner très vite vers les combats. La scène d'arrivé chez sa sœur est assez belle car paraît très vrai dans un décors d'habitations un peu marginales du sud de la France. D'ailleurs Audiard ne tombe pas dans le cliché du riche et du pauvre qui doivent s'entraider (au regard des affreuses productions récentes dans le cinéma français, Intouchables, pour ne citer que lui) mais plutôt dans la survie dans un monde que chacun est obligé de partager. Un sujet que Audiard a d'ailleurs repris dans tout ses films : laisser tomber les a-priori et les valeurs d'un personnage pour les mettre face à leur combat. Malik n'a aucun but dans un Prophète à part celui de survivre en milieu carcéral et pour cela il passera par tout les moyens : devenir un valet pour les Corses car il a besoin d'eux mais plus loin dans le film c'est César qui l'a obligé à tuer qui l'appel à l'aide. Dans De battre mon coeur... Romain Duris veux quitter ce milieu de dégénérescence morale que crée la magouille et le profit et il se tournera vers la musique jusqu'à retrouver un amour qu'on imaginait impossible par la barrière de la langue de sa professeur Chinoise. Audiard aime casser les barrières, Audiard aime montrer les bourgeoises de la plage Niçoise se retourner au passage de Stephanie qui sort de l'eau les moignons bien apparents*. Audiard aime surtout nous dires qu'il y a un espoir.

De rouille et d'os s'inscrit dans la lignée des films humanistes, ceux révélateur de vies différentes qui peuvent se rapprocher dans une société qu'on dis souvent trop identitaire. Jacques Audiard reste très fort pour nous approcher des personnages, ressentir peur et compassion pour eux. La preuve en est dans cette parenthèse qui n'engage que moi : j'ai retrouvé une Marion Cotillard dans un rôle excellent, actrice qui pourtant n'a cessé de me décevoir ces dernières années. La force des sensations dans le film réside avant tout dans une utilisation constante des plans serrées, nuques, profils à foison sur les personnages principaux. On passe du petit Sam qui pleure à son père qui parait exténué dans le simple espace d'un train. Une caméra aussi proche crée aussi une obligation pour le réalisateur d'un repérage parfait : pas de décors insolents ou outranciers mais une vie réelle avec des personnages qui semble vrais. La fin cependant fait tout de même mélodrame un peu facile.
pier_karoutcho
7
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le 20 juin 2012

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pier_karoutcho

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