Vendu comme la référence ultime en matière de survival par bon nombre de ses adorateurs, Délivrance m'a fait l'effet d'un pétard un peu mouillé. Les promesses qui m'avaient été faites se sont en effet envolées, au fur et à mesure que Boorman évinçait tout ce que je pouvais attendre du film. Ainsi, à part deux ou trois petites séquences un peu timides, ne vous attendez pas à des affrontements dantesques à coup de flèches, les carquois restent remplis du début à la fin du film, seul deux tiges en bois seront décochées. L'une d'elle servira la meilleure scène du film, l'autre sera le témoin d'une séquence maladroite, presque ratée tant on ne parvient pas à la prendre au sérieux.

Pourtant la première partie où le cinéaste expose ses personnages et leurs objectifs, en prenant grand soin à construire une ambiance bien glauque, fonctionne terriblement. Si l'on passe les leçons de morale un peu pompeuse et le caractère très caricatural des personnages qu'on y croise, en se disant que c'est inhérent au genre, c'est même vraiment bien gaulé. L'intro du film est malicieuse, et prépare avec finesse l'affrontement à venir en ne perdant pas une seconde pour nous livrer le premier duel, musical celui là, entre deux mondes que tout oppose (et c'est pas peu dire). Cette partie du film se conclut par une séquence assez éprouvante, que je n'ai personnellement pas vue venir, dans laquelle un campagnard file une volée à l'un de nos compères venus de la ville, finissant sa leçon par un viol des plus sordides tant il semble se faire si simplement, toute résistance étant vaine de la part du conseiller en assurance. La scène marque les esprits et semble annoncer des affrontements cruels à venir.

Malheureusement, ce passage étant finalement le seul climax du film, on n'a plus rien à se mettre sous la dent pendant l'heure et demie qui reste. Boorman a en effet la superbe idée de mettre hors service le seul gars qui aurait pu nous faire un peu vibrer, pour nous laisser seuls avec le gentil père de famille du groupe qui se servira sans conviction de l'unique arme en sa possession (c'était très malin d'enterrer le fusil), un arc qu'il tient péniblement en tension. Ses talents d'archer nous seront démontrés par deux fois dans le film, lors de deux scènes assez maladroites, la faute à un acteur qui peine à convaincre. Lors de la première le pauvre bougre, qui veut se faire mousser auprès de son pote Rahan, cible une biche qui sent déjà les herbes de Provence mais il ne parvient pas à la tuer, sa main se met à trembler au moment de décocher. Lors de la seconde, même schéma sauf que la biche se tient débout, porte une barbe et brandit un fusil. La scène aurait du être toute en tension, elle tombe complètement à plat, notre guerrier tombe sur le dos et s'empale sur l'une de ses flèches, c'est tellement peu crédible qu'on soupire. Dès lors, on attendra d'autres parties un peu pêchues, qui honoreraient ce côté survival tant mis en avant dès lors qu'on parle du film, mais elles ne se présenteront jamais. On se rend compte que cette jaquette qui nous présente Reynolds bandant son arc en grimaçant est en fait extraite d'une lutte acharnée contre une truite. Dans le genre on nous prend pour des pigeons, c'est pas mal !

Quelques points positifs font néanmoins de Délivrance davantage une déconvenue qu'un mauvais film à proprement parler. La retenue dont fait preuve Boorman à nous donner des réponses par exemple est vraiment appréciable. Ça contribue à instaurer un petit mystère autour du film, certaines interrogations qu'on pourrait avoir, et qu'ont également les protagonistes, ne sont jamais résolues, de ce point de vue là, c'est plutôt bien fait. Le réalisateur est également un amoureux de la nature et nous gratifie de jolies prises de vue d'une nature préservée. Les séquences réalisées dans les rapides sont dynamiques et bien gérées, et certains plans marquent les esprits, comme celui où Reynolds cible de son arc le premier agresseur. En outre, j'ai apprécié le côté détestable des personnages qui sont censés être les héros du film.

En guise de conclusion, je me laisse à penser que Délivrance, dans mon cas, a certainement souffert de sa réputation sulfureuse, presque mythique. Je m'étais fait une image mentale du film qui est tout sauf ce que j'ai pu y voir. En lieu et place d'une oeuvre haletante et burnée, je me suis retrouvé devant un film tout en retenue et finalement très avare en séquences marquantes. Si effectivement la première va m'habiter un moment, son déroulement rapide et sans concession étant d'une efficacité redoutable, le reste de ce soit disant maître étalon du survival va certainement s'estomper très rapidement, tant j'ai peiné à y trouver cette tension permanente vantée ça et là dans bon nombre de critiques autour de ce film.
oso
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le 27 mars 2014

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