En 2008, Matt Bondurant, petit-fils de Jack Bondurant, sortait le livre Pour Quelques Gouttes d'Alcool, dans lequel il retraçait l'histoire vécue par ses aïeux, distillateurs et trafiquants illégaux de moonshine (un whisky transparent), à l'époque de la Prohibition. Il faut peu de temps pour que le réalisateur John Hillcoat s'intéresse au projet d'une adaptation et réunit un casting au palmarès impressionnant, malgré des problèmes de financement initiaux.

De John Hillcoat, on se souvient de son autre adaptation, avec le film La Route qui avait marqué par son ambiance. Et c'est justement ce qui épate dans Les Hommes Sans Loi, la reconstitution délicate de cette époque de l'Est américain. Le film se trouve tout de suite insufflé d'une atmosphère visuelle bien particulière et adéquate à l'histoire qu'elle retranscrit. C'est alors avec délectation qu'on profite du grain présent à l'image qui complète à merveille la photographie orientée dans des tons mornes (grisâtres, orangés, bruns) avec des couleurs aux tons parfois délavés. Ajoutez à cela une minutie toute particulière attribuée à l'élaboration de scènes pittoresques (le village, les paysages environnant,...) et la confection d'habits et costumes des plus réussis, qui donnent complètement vie aux personnages.

La mise en scène d'Hillcoat n'est pas non plus anodine au fait que l'on soit captivé par son récit. Ayant déjà fait ses cordes avec son western The Proposition, il donne une optique similaire à ce nouveau film, ce qui n'a de cesse de renforcer la qualité visuelle de l’œuvre, qui peut parfois prendre des aspects de téléfilm. Dans une veine plutôt contemplative, la dynamique est relativement posée et inscrite dans le développement des personnages plutôt que les scènes d'actions qui pètent. À l'instar du bouquin, le film conserve cette dualité entre passages assagis, presque oniriques (les plans larges des paysages), et des séquences extrêmement crues, sanglantes qui rappellent la sauvagerie permanente de cette époque. La réalisation, sans toutefois se montrer exceptionnelle, est donc très calculée, et met parfaitement en scène les acteurs, et leurs émotions. Les gros plans et travelling progressifs sont donc nombreux, et toujours effectués avec cette solennité ambiante qui parcoure l'ensemble du film. Les scènes plus brusques révèlent toutefois quelques maniements de caméra brouillons mal ancrés dans l'espace.

Du fait d'une action finalement minimaliste, il se peut que des passages apparaissent longs, sans ennuyer néanmoins, tant l'on reste épris de cette atmosphère vraie. Sa grande réussite se doit également à la qualité exceptionnelle de la bande-son. Écrite et interprétée par le scénariste Nick Cave et son acolyte compositeur Warren Ellis, elle distille une ambiance typique, totalement en cohésion avec les images. La musique fait appel à des classiques Folk, Country et assez Punk dans l'âme tels que "Fire And Brimstone" de Link Wray, "White Light / White Heat" de The Velvet Underground, "Sure 'Nuff 'N Yes I Do" de Captain Beefheart ou encore "So You'll Aim Towards The Sky" des rockeurs de Grandaddy, réinterprétées dans un style très authentique et brute de par son côté majoritairement acoustique. Avec, qui plus est, la présence vocale d'artistes également renommés dans le style Bluegrass : Mark Langean, Emmylou Harris et surtout Ralph Stanley. La symbiose est parfaite, le résultat envoûtant au possible et les images sont totalement transcendées par cette bande-son vraiment sublime, qui se pare aussi de compositions simplement ambiantes où les schémas de basse dominent pour souligner les épisodes de tension.

Enfin, outre la qualité de restitution de cet univers des années 1930, Des Hommes Sans Loi éblouit par la justesse de son casting, et leur implication à donner forme et fonds à ces personnages historiques. L'intrigue est principalement focalisée sur les trois frères Bondurant, qui mènent leur commerce illégal d'alcool dans le comté de Franklin, sous les yeux des shérifs qui profitent de leur savoir-faire de cet alcool interdit. Il y a d'abord l'aîné, Howard (sous les traits de Jason Clarke), hanté par les horreurs de la 1ère Guerre Mondiale et buvant dès que possible tout en gardant une figure sécuritaire et bienveillante. Le second, Forrest, meneur des activités, est joué à merveille par Tom Hardy. S'étant relevé des nombreux sorts que la vie lui a offert , il est resté très renfermé sur lui-même, mais bel et bien lucide, et renferme en lui une férocité affolante. Et puis, le petit dernier, Jack Bondurant, que joue Shia LaBeouf. Jamais l'on avait assisté à une telle performance du jeune acteur américain. Bien décidé à laisser les blockbusters derrière lui, ses premiers pas dans le cinéma d'auteur indépendant sont un franc succès. D'ailleurs, il est le protagoniste de l'histoire, le film raconte son façonnement, celui d'un garçon frêle et impressionnable, qui rêverait de faire vraiment partie de l'univers des gangsters avec costume, cigare, argent, belle voiture, et surtout une femme à son bras.

Cette conquête, c'est la jolie Mia Wasikowska qui lui porte justice, fille d'un pasteur qui voit les Bondurant du plus mauvais œil qui soit. Alors qu'à côté, c'est son frère Forrest qui est courtisé par une danseuse de Chicago fuyant la ville, interprétée par la meilleure actrice du moment (sept films en 2011 et le quadruple de nomination) : la délicieuse Jessica Chastain, totalement imprégnée dans son rôle de femme amourachée. Avec Dane DeHaan - star du film Chronicle - jouant un Cricket Pate un poil simplet, la fratrie vit de ses activités sans embrouilles. Ce jusqu'à l'arrivée de l'agent spécial Charlie Rakes, qui nous est offert dans la peau de Guy Pearce. Encore un grand acteur qui s'est illustré dans des rôles extrêmement contrastés cette année (Lock Out, Prometheus). Celui-ci ne déroge pas à la règle et l'acteur y est méconnaissable en flic hautain qui débarque de la ville dans un comté de bouseux, dandy à l'extrême, et surtout sans limite et vraiment antipathique dans sa façon d'être. Un personnage exclusivement retravaillé par rapport au livre qui en faisait juste un flic pourri du coin. Pour conclure ce casting juteux, la présence de Gary Oldman dans la peau du gangster fictif Floyd Banner élève encore un peu le niveau d'interprétation générale.

Des Hommes Sans Loi n'est pas le genre de film habituel régulièrement ponctué d'action pour compenser les dialogues. En s'inspirant du livre, John Hillcoat raconte plutôt une histoire, une tranche de vie de cette fratrie qui résiste à tout et tout le monde, sans se soucier des pressions extérieures. Bluffant de réalisme, cette œuvre s'apprécie à mesure qu'elle tisse son univers et que les tensions convergent, dans l'ombre, en un ultime point alors que les personnages cherchent juste à vivre paisiblement, ou bien se construire une identité. Si l'on peut, au final, reprocher le fait qu'il manque un but déclaré vers lequel l'histoire puisse tendre, la réussite du film réside principalement dans celui de nous imprégner et nous faire adhérer, deux heures durant, à cette époque où tous les coups étaient permis.
AntoineRA
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le 22 sept. 2012

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le 23 sept. 2012

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AntoineRA

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