Distribué par Netflix, le très rococo Divines a la faiblesse de se concentrer d'abord sur la réception du film, qui a déterminé la réalisation, au lieu de l'inverse. Rien de nouveau certes, dans notre monde libéral où le profit immédiat est privilégié à la pérennité d'une œuvre mais il est toujours déplorable de constater que certains font du cinéma d'abord pour l'argent plutôt que pour l'art lui-même.


La question de la réception, donc. Il semble que cette gamine Dounia (dont j'ai trop souvent entendu vanter le jeu, alors qu'il est d'un amateurisme criard, ce qui démontre au passage la piètre direction d'acteurs) et la réalisatrice ont la même religion: le matérialisme. L'une rêve de Ferrari, d'I-Phone, de vêtements de marque. L'autre veut faire un maximum d'entrées et vise donc le plus large et peu exigeant public possible, celui qui a besoin de changements d'images constants pour lui exciter la rétine et stimuler un cerveau peu enclin à l'effort et à l'attention exigée par un long plan ou un plan fixe - qui, eux, suggèrent plutôt qu'ils ne montrent, incitent à la réflexion plutôt qu'ils n'excitent grossièrement des sentiments. Les conflits permanents explosant dans tous les sens et se succédant à un rythme bien trop abusif participent à cela, au détriment de la cohésion et d'une prosodie plus harmonieuse qui distribuerait avec parcimonie les points forts de l'intrigue et aurait ainsi permis au spectateur de reprendre son souffle au lieu d'étouffer sous les amas de cris, d'insultes, de crachats, de coups puis de larmes. De même, le recours obsessionnel aux dilemmes auxquels sont confrontés des personnages pathétiques révèle la pauvreté créative d'un scénario optant pour la facilité dramatique de ficelles propres au sous-genre des feuilletons télé ou autres séries bas de gamme. Enfin, la spiritualité supposée des personnages dans laquelle veut nous faire artificiellement baigné la musique et dont le film tire son titre n'a aucun fondement moral (vol, prostitution, irrespect de l'autre, manque de tolérance) et n'est confirmée dans aucun de leurs actes ou pensées, hormis lorsqu'ils jurent ou (dans le cas seulement de Maimouna qui ne fait qu'obéir à son père imam) se rendent à la mosquée.


Outre ces points proprement techniques, soulignons aussi la volonté manifeste de la réalisatrice de proposer des profils sociaux souvent à contre-courant pour s'aligner sur la grande tendance du moment (la théorie du genre) et tenter un jury cannois ou bobo parisien des César socio-politiquement engagé (ou se targuant de l'être entre un toast au caviar, une coupe de champagne et une petite ligne). Le renversement des rôles de la banlieue nous paraît une courageuse initiative dans un monde plus que machiste où la femme n'existe pas assez. Or, s'il est vrai que des jeunes femmes plutôt masculines voire même lesbiennes sont apparues lors des dernières années dans les quartiers (existaient-elles avant ou se cachaient-elles? Nous l'ignorons), il semble beaucoup moins vraisemblable de nos jours que l'une d'entre elles domine le trafic de stupéfiants. Par ailleurs, la forte concentration de personnages brouillant les codes masculins/féminins (Rebecca «dealeuse» lesbienne ou faisant semblant de l'être pour se protéger ou bisexuelle ou tout à la fois, le gars de la sécurité de jour / danseur de nuit, le travesti vivant avec la mère prostituée, les deux amies Dounia et Maimouna présentées comme hétéro mais ayant parfois des sentiments ambigus, …) dans un univers où la frontière est bien tracée et presque infranchissable nuit à la vraisemblance et opte pour un parti pris certes psycho-sociologiquement original mais encore une fois trop grossier, sans la subtilité ni le talent d'une C. Sciamma ou d'un A. Kechiche.


Donc, en guise de conclusion, comme le dit le critique P. Murat, "on peut aller voir Divines pour des tas de raisons : sociales, politiques, prophétiques, féministes... mais sûrement pas cinématographiques".

Marlon_B
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le 22 nov. 2016

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