L'exercice musclé de la magistrature

Créé en 1977 par le scénariste John Wagner et le dessinateur Carlos Ezquerra pour la mythique revue anglaise 2000 AD, Judge Dredd devint très vite l'un des comics anglais les plus lus à travers le monde. Le personnage éponyme, largement inspiré par celui de Harry Callahan (et qui servira à son tour d'inspiration au Robocop de Verhoeven), fut pensé comme un anti-héros impitoyable et ultra-violent dont les méthodes expéditives (et l'humour noir qui en découlait) cantonnèrent tout d'abord le comic au statut de simple parodie des exploits super-héroïques et policiers d'alors. Mais au fil du temps, Judge Dredd évolua, les dessinateurs et scénaristes successifs modifièrent progressivement leur approche pour créer plusieurs arcs narratifs ainsi qu'un univers futuriste tout à fait cohérent.


Il aura fallu attendre 1995 pour que le comic anglais soit enfin porté sur grand écran avec Stallone dans le rôle principal. Une première adaptation pas aussi déshonorante que nombreux semblent vouloir le croire mais beaucoup trop édulcorée pour rendre véritablement justice au matériau original. D'autant que Stallone étant Stallone, celui-ci ne pouvait en aucun cas se résigner à porter le casque durant tout le film (dommage, car à bien y regarder, Rocky avait la gueule de l'emploi sous sa visière).


Suite à cet échec critique et public, les producteurs mettront finalement seize années à oser investir dans une nouvelle adaptation du personnage et de son univers. Longuement préparé par le producteur-scénariste (et depuis peu réalisateur) Alex Garland, et réalisé par le méconnu (mais pas moins talentueux) Pete Travis, Dredd renoue ainsi parfaitement avec ce qui faisait l'essence du célèbre comic en nous plongeant dans une Amérique d'après l'Apocalypse devenue un vaste désert radioactif parsemé de plusieurs mégapoles surpeuplées où se dressent des centaines de buildings démesurés. Pour remédier à une criminalité urbaine continuellement en hausse, un ordre nouveau a été mis en place, les Juges, lesquels concentrent à eux-seuls les pleins-pouvoirs et appliquent une politique et une justice radicales. Les juges de terrain sont ainsi considérés comme juges, jurés et bourreaux et sont habilités, si besoin est, à appliquer directement la sentence suprême. A Mega-City One, la plus grande de ces mégapoles, le juge Joseph Dredd est de loin le plus craint et le plus respecté parmi ses pairs. Aussi monolithique qu'intraitable, il applique la loi sans jamais la remettre en cause et n'hésite pas à exécuter n'importe quel contrevenant. Portant continuellement un casque dont la visière masque toute la partie supérieure de son visage, il personnifie à lui-seul toute l'ambiguïté morale d'un système aussi implacable que fascisant. Le début du film voit sa hiérarchie lui confier la tâche d'évaluer durant une journée, une nouvelle recrue, la bien-nommée Cassandra Anderson, jeune juge-aspirante aux talents de médium (un personnage également issu du comic). Tous deux se rendent dans le bloc de Peach Trees, une de ces villes verticales en forme de gigantesque immeuble, pour enquêter sur un triple homicide. Ils y découvrent finalement un réseau de drogue, le Slo-Mo (lequel a la particularité de ralentir la perception du temps), sur lequel règne en maître incontesté la terrible Ma-Ma, une ancienne prostituée horriblement défigurée au cours d'une de ses passes. Alors que les deux juges mettent la main sur un de ses dealers et s'apprêtent à l'emmener pour l'interroger, la cruelle chef de gang verrouille toutes les issues de l'immense édifice et lance aussitôt tous ses hommes après les juges et leur prisonnier. Toute cette armée de tueurs va alors se heurter au terrible Dredd...


On a longtemps comparé Dredd et The Raid sur le prétexte qu'ils partagent un même postulat et sont sortis à quelques semaines d'intervalle. Quelques critiques accusèrent même Garland d'avoir plagier sans vergogne son histoire sur celle de The Raid alors que l'on sait désormais que le film de Travis était déjà dans les cartons quand Gareth Evans mettait la touche finale au sien. Confinant rapidement ses protagonistes dans un vaste espace clos, le scénario de Dredd (et celui de The Raid donc) emprunte surtout à la mécanique narrative du Die Hard de John McTiernan, que ce soit dans l'usage de cette unité de lieu restreinte et dans une timeline réduite à quelques heures. L'occasion pour le spectateur d'assister à un actioner comme on n'en fait plus beaucoup, un de ces déluges d'action décomplexés, peu avares en morts sanglantes (parfois à la limite du gore) et entrecoupés de punchlines lapidaires lancés par Dredd et que n'aurait pas renié un certain John Matrix. Les morceaux de bravoure s'enchaînent ici sans jamais discontinuer, entre gunfights dévastateurs (la scène où les hordes de Ma-Ma rasent à l'aveugle et au mini-canon tout un étage pour tenter d'en finir avec Dredd) et séquences à la limite de l'onirisme (les superbes ralentis dus au Slo-Mo). Tout cela dans un contexte futuriste aux fortes influences dystopiques et cyberpunks, parfaitement restitués par une somptueuse direction artistique (le travail sur la photographie est à tomber).


L'une des bonnes idées du film de Travis et Garland est évidemment que son personnage-titre n'ôte ici jamais son casque et ne laisse voir de son visage que cette moue haineuse lui tordant la bouche. Ce qui ajoute immanquablement à son charisme et respecte pour beaucoup le délire du comic original (Dredd y gardait toujours son casque, même sous la douche). Succédant ici à Stallone, l'acteur Karl Urban (Riddick, Star Trek) s'empare totalement de son rôle et parvient à merveille à retrouver l'aura originelle du personnage, non sans évoquer pour beaucoup le côté intraitable d'un inspecteur Harry dans ses meilleurs jours. A ses côtés, la jeune Olivia Thirlby (Juno, Sex friends) interprète la juge Cassandra Anderson, qui loin d'être un simple faire-valoir, jouera souvent un rôle essentiel dans l'intrigue et même dans la survie de Dredd (voir la confrontation décisive avec Lex et ses juges ripoux). Face à ce partenariat d'un jour, la superbe Lena Headey (300, Sarah Connor's Chronicles) incarne à la perfection la terrible Ma-Ma, une véritable méchante d'anthologie, sorte de reine défigurée recluse dans sa citadelle géante, lançant inutilement ses hordes de chair à canon sur la route d'un juge dont la force brute fera trembler tout l'édifice.


Simple tâcheron comme tant d'autres dans le panorama hollywoodien, Pete Travis s'acquitte ici de sa tâche avec les honneurs et fait parfois preuve d'une virtuosité étonnante au regard de son CV. En matière d'action définitive, Dredd en vient ainsi presque (j'ai bien dit presque) à tutoyer les chef d'oeuvres du genre comme Piège de cristal, A toute épreuve ou Fury Road. Quant à Alex Garland, véritable instigateur de cette résurrection à l'écran, son scénario rend parfaitement justice au comic dont il s'inspire, que ce soit dans la description de cet univers déliquescent ou dans le traitement de son personnage-titre, qui à l'inverse de sa protégée, ne subira aucune véritable évolution durant cette brève escapade à Peach Trees. Ambitieux, Garland envisageait à l'époque Dredd comme le premier film d'une trilogie censée retranscrire la richesse de l'univers, ou plutôt du multivers original (le dernier film était même censé faire la part belle à la némésis de Dredd, le Judge Death). Hélas, ses faibles résultats au box-office américain annihilèrent toute perspective de suite, et ce malgré la rentabilité du film à l'international. De quoi enrager au vu de la qualité indéniable de cet opus, désormais orphelin, qui rend parfaitement justice au plus bad-ass des magistrats.

Créée

le 21 sept. 2015

Critique lue 973 fois

17 j'aime

7 commentaires

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 973 fois

17
7

D'autres avis sur Dredd

Dredd
real_folk_blues
6

On dirait que Karl a bruni...

En ce moment je suis en mode bourrin et j’assume. Sur mes dernières critiques y a du pas fin, de la filmo pas très glorieuse, du patronyme honteux, de la pose Gillette, de la pétoire, du titre plein...

le 6 févr. 2013

72 j'aime

32

Dredd
Gothic
7

Raid is Dredd

HD-REDD-Y Si nos amis américains ne l'ont pas trouvé Dredd-ful, force est de constater que par chez nous, peu de monde y croyait, en témoigne ce direct-to-dvd dans nos contrées. Et bien pour ma part...

le 13 janv. 2013

63 j'aime

22

Dredd
S_Plissken
7

Urban Legend

Dredd c'est une sorte de revival tout droit sorti de la fin des 80's. Moins de thune certes et moins d'ambition que le raté sorti en son temps avec un Stallone ridicule. Cependant ce film touche au...

le 13 janv. 2013

45 j'aime

4

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32