Le cinéma a pris son temps pour s’intéresser (et se confronter) aux enfants tueurs, et c’est dans les années 60 que vont réellement commencer les hostilités avec Le village des damnés de Wolf Rilla. De fait, la cruauté pure ne demeure plus l'apanage seul de tueurs en série, de monstres voraces ou d’extraterrestres belliqueux ; désormais, nos chères têtes blondes goûtent elles aussi aux joies de la violence et de l’hémoglobine. Quand ce n’est pas directement le diable ou le Mal incarné (Rosemary’s baby, L’exorciste, Le monstre est vivant, La malédiction, Esther dans une moindre mesure…), ce sont les sombres réminiscences de nos âmes, de nos pulsions (Sa Majesté des mouches, L’autre, Les révoltés de l’an 2000…), et la monstruosité en germes derrière une innocence trompeuse (Les désarrois de l’élève Törless, Le ruban blanc…) qui s’exposent pleinement et viennent alors malmener nos petites consciences.

James Watkins, lui, s’attaque de front à un autre versant du sujet, celui de la délinquance juvénile ; sujet sensible en Angleterre qui amena à plusieurs années de débats, de conflits et d’opinions diverses (préserver ? Responsabiliser ? Punir ?). De Funny games à Ils en passant par The great ecstasy of Robert Carmichael et les plus récents (et très réussis) Les proies ou Boy A (inspiré du fait divers James Bulger qui, en 1993, traumatisa l’Angleterre), ce thème brûlant offre au réalisateur, tout en respectant à la lettre les "règles" d’un survival classique, un axe d’action dramatique ancré dans une vérité sociale (et humaine) terrifiante. L’histoire de Jenny et Steve, ce jeune couple pourchassé par des adolescents ultra-violents, procure aux spectateurs d’abord un trouble latent, ensuite un malaise viscéral tenu sans problème par Watkins et ses acteurs jusqu’aux toutes dernières secondes du film.

Au cœur de celui-ci, une longue scène de torture très éprouvante où, chacun à leur tour, les ados, à coups de cutters et de couteaux, s’en prennent à Steve, attaché avec du barbelé. Séquence tétanisante, et plus terrible encore car mise en scène par des adolescents sans plus aucune appréhension de la réalité ni aucune autre perception de ce qu’ils font vraiment. Entre peur et excitation, annexant les frontières de la raison et de la folie meurtrière, ils semblent en même temps perdus et fascinés par leur propre férocité, entraînés, propulsés malgré eux (en tout cas par Brett, leur leader), galvanisés par la fureur, par l’excès, par une mécanique implacable d’effet de groupe, d’escalade toujours plus conséquente et sans possible retour. Ce climax central, où tout bascule véritablement dans l’horreur, annonce le début des vraies atrocités, d’un appel au sang et à la mort proclamé au-delà de toute normalité et de toute moralité (Jenny doit tuer à son tour pour s’en sortir).

Elle, la jolie et pimpante institutrice s’occupant de petits enfants et, peut-être, de voyous, de tueurs en devenir comme ceux qu’elle rencontrera plus tard sur son chemin, va devoir rejeter, ignorer ses limites éthiques et physiques, revenant ainsi à une sorte d’élémentarité occultant en partie la parole et l’apparence ; il n’y a plus, alors, que des râles et des invectives, des cris et des pleurs, de la boue, de la crasse et des plaies. Jenny est-elle même encore Jenny ? Il y a quelque chose d’un recommencement (et d’un renoncement aussi), d’un repli vers des pulsions primitives qui prévalent alors à toute sociabilité (résister, se protéger, tuer). Kelly Reilly, couverte de terre et de sang, sauvage comme Schwarzenegger à la fin de Predator (comparaison abrupte, mais finalement envisageable), mimétique face au "monstre" et à son environnement, lutte pour une improbable survie face à de "simples" gamins, perdue au cœur d’un cauchemar qui ne semble pas même envisageable.

Barbare, sans pitié, allant jusqu’au bout de l’horreur instituée et n’hésitant pas à montrer l’immontrable (un enfant brûlé vif, un autre égorgé sans ménagement et un autre encore battu à mort), Eden Lake est un thriller brutal et haletant, devenu désormais une presque référence en la matière. Tout juste lui reprochera-t-on quelques facilités de scénario et un final un brin exagéré (ayant, toutefois, le mérite d’être sans concession et ne gâchant en rien l’exceptionnelle dureté du film), mais restant parfaitement logique par rapport à ce qui a été évoqué, exprimé et signifié (extériorisation de sa colère, conséquences de sa douleur et violence se perpétuant, engendrant un cercle vicieux et générationnel). En définitive, tout le monde, à différents niveaux, se retrouve victime sans s’en rendre totalement compte, et c’est ce que suggère le tout dernier plan du film quand Brett (impressionnant Jack O’Connell) se regarde dans un miroir puis lance un regard caméra semblant nous dire : "Le monstre est en chacun de nous, et personne ne pourra y échapper".
mymp
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le 27 déc. 2012

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