Il est souvent dit que Full Metal Jacket ne constitue pas un film, mais deux films en un : principalement réputé pour sa première partie nous immergeant sans ambages dans un camp militaire au sein duquel de jeunes soldats américains subissent la logorrhée ordurière d'un sergent instructeur le classique kubrickien prend par la suite place sur le terrain de la Guerre du Viêt Nam, dans le "merdier" pour ainsi dire. De l'endoctrinement au combat, de la théorie à la pratique Stanley Kubrick signe un grand film à thèse d'une maîtrise incomparable, s'interrogeant à nouveau sur la condition humaine et ses instincts fratricides.


Comme toujours la réalisation de l'auteur de Shining est d'une rare précision, pratiquement millimétrée : composée de travellings tournés à hauteur d'Homme accompagnant les personnages ou de zooms sciemment utilisés dans les vingts dernières minutes la mise en scène et la reconstitution du conflit s'avèrent proprement remarquables. Stanley Kubrick apporte un ludisme inconfortable dès la première partie, au gré de dialogues pour le moins pittoresques. L'humiliation vécue par le personnage de Baleine ( Vincent d'Onofrio, tristement fascinant dans son évolution ) permet d'éclairer l'absurdité de cet enrôlement collectif fondé sur la déshumanisation et la barbarie. L'ouverture du film dans laquelle se succèdent un série de visages destitués de leur favoris au son d'un morceau de rock'n'roll très évocateur annonce d'emblée la couleur : les soldats seront privés de leur identité et, pis que ça, de leur vie. Ainsi le Sergent Hartman ( Lee Ermey, dans un rôle emblématique ) multipliera les sobriquets, uniformisera le quotidien de ses Marines jusqu'à les transformer en véritables machines de guerre : Guignol, Cowboy, Baleine, Blanche-Neige et les autres intégreront les méthodes inhumaines de Hartman, l'ensemble présenté avec une froideur et une fluidité ne pouvant que retranscrire l'évidence et la prégnance de ce cauchemar...


Après ce lavage de cerveaux trouvant son climax dans la mise à mort du Sergent et le suicide de Baleine Kubrick nous plonge au coeur du Viêt Nam : tourisme sexuel, journalistes opportuns, retrouvailles d'anciens compagnons, mitraillage d'autochtones et finalement séquence ultime d'embuscade où toute la réflexion kubrickienne prend son sens ; cette deuxième partie, moins efficace que la première, reprend toutefois tous les codes du genre tout en faisant le portrait très réaliste de l'offensive du Tet: l'importance des médias et l'intelligence parfois limitée des propos des combattants sont tangibles, bien que l'on soit souvent aux côtés du personnage de Guignol, protagoniste-témoin faisant le pont entre les deux parties de cet éloquent Full Metal Jacket. La symbolique, parfois lourdement appuyée par Kubrick, se retrouvera jusque dans la célèbre affiche de l'exploitation cinématographique sur laquelle on distingue un casque punaisé d'un signe Peace and Love et arborant l'inscription "Born to Kill"... marque de la fameuse dualité de l'Homme.


Maîtrisé, émotionnellement complexe et d'une violence concentrationnaire absolument glaçante Full Metal Jacket reste un film techniquement impressionnant, moins nuancé que certains chefs d'oeuvre du Maître mais pourtant incontournable. Une fois n'est pas coutume : la grande musique est absente du métrage, Stanley Kubrick ayant laissé le soin à sa fille de composer une bande originale envoûtante, pleinement atmosphérique à laquelle s'ajoutent des tubes rock contemporains des personnages. Un grand film.

stebbins
8
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le 7 mai 2015

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stebbins

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