Furie monte tranquillement en puissance. Sa première partie est très calme, ses allures de romance arlequin lui permettent d'introduire les personnages en douceur. Une petite success story à l'américaine plus tard, le film trouve son premier point de pivot, une prison est prise d'assaut par une foule assoiffée d'auto-justice, un homme innocent voit sa vie basculer. Puis vient le procès, dernier point de pivot, aboutissant au chemin entrepris par un esprit contaminé par la haine vers une vengeance sans concession.

Dans Furie, tout le monde en pris à défaut, institutions politiques, représentants de la justice et hommes de bonne réputation, mais également conscience collective et nature humaine dans son ensemble. Qu'il dénonce la force et la subversivité de l'esprit collectif lors de l'assaut sauvage de la prison, ou la facilité avec laquelle un individu perd le sens de ses propres valeurs en se laissant submerger par la haine, le film de Fritz Lang ne fait aucun détour et trouve sa puissance dans son changement constant de point de vue ainsi que son habilité à ne pas tomber dans un manichéisme primaire : le supposé héros, première victime du film, finit par faire du mal à son entourage, aveuglé par sa soif de justice.

Ce noir propos prend également une dimension assez dramatique quand on le place dans un contexte historique. 1936, le nazisme monte dangereusement en Allemagne, à tel point que Fritz Lang décide de quitter son pays. Il prend alors le chemin des Etats Unis où il réalise Furie, son premier film américain, qui reprend la thématique particulière de la force extrême du pouvoir collectif, force si radicale qu’elle peut être amenée à renverser un processus démocratique destiné à protéger l’individu.

Pour porter son sensible sujet, Fritz Lang use d’une mise en scène subtile dont la force réside dans ses points de vue. Mobiles, ils ont tendance à ne pas toujours épouser le centre d’attention de la séquence en cours, pour s’attarder sur les répercussions qu’ils provoquent sur son entourage immédiat. Un parti pris férocement efficace, ainsi qu’une photographie de haute voltige qui font de Furie un film à la forme très moderne que l’âge n’émousse d’aucune façon.

Au centre de cette maîtrise formelle et narrative, tous les acteurs n’ont plus qu’à donner leur meilleur. En Spencer Tracy, Joe Wilson trouve l’interprète idéal pour passer de la bonhomie à la haine revancharde. A ses côtés, la fragile Sylvia Sidney apporte une touche de charme appréciable à l’ensemble, et contraste pleinement avec les visages forcés des 22 accusés, dont les croustillantes attitudes assurent le spectacle.

Plié avec fougue en à peine 90 minutes, Furie prouve qu’il est possible d’allier concision et force de propos. Il n’y a que son dénouement, improbable, soudain et trop en décalage avec le ton résolument pessimiste que Lang a mis en place, qui déçoit. Une fin un peu convenue, dont le message, aussi universel soit-il, paraît trop facile : l'amour triomphe de tous les démons. Il est concevable que Lang –ou ses producteurs- ait souhaité apporter un peu d’optimisme à son détonant tableau, mais cela aurait pu être fait avec un peu plus de retenue qu'un baiser, il est vrai passionné, mais tellement théâtral, en plein procès.
oso
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le 2 août 2014

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