Satire particulièrement jouissive et décapante, le film de Bobcat Goldthwait ne fait certes pas dans la dentelle ni la finesse, mettant à mal l’american way of life : inculture crasse généralisée (il est mentionné que 40 % des Américains ont un niveau cours moyen première année) à laquelle la prolifération de chaines de télévision poubelle n’est pas étrangère, xénophobie et homophobie, consumérisme sans limites et goût des marques et de l’apparence vulgaire, commerce des armes, immixtion de la justice et des procès à but mercantile. La charge est lourde et pèse sur les épaules du héros Frank, père divorcé un peu loser nanti de voisins bruyants et stupides, bientôt viré de son boulot et atteint d’une tumeur au cerveau incurable. Flanqué d’une adolescente délurée, le sympathique exclu se transforme en un tueur dézinguant avec jubilation tous ceux qui représentent la médiocrité et la bêtise, et certes ils sont nombreux. Le duo cocasse sillonne donc les routes du pays pour faire disparaitre une candidate d’un jeu de téléréalité, un présentateur néoconservateur, des militants anti-avortement et des jeunes abrutis se bâfrant de pop-corn au cinéma. L’effet miroir, fût-il déformant et grossissant, fonctionne à plein : le spectateur complice rit à l’unisson du spectacle affligeant sans prendre conscience qu’il participe, de près ou de loin, selon des doses différentes, au système qui déborde depuis longtemps les frontières des États-Unis. C’est donc un jeu de massacre jubilatoire, à l’écriture plutôt fine et soignée qui laisse une place, à côté des scènes hilarantes de dégommage, à la théorisation de la dérive culturelle et intellectuelle des sociétés occidentales. Le film montre habilement le phénomène consistant à désigner comme bouc émissaire, sous couvert de snobisme ou d’élitisme, celui qui ne souscrit pas à la majorité manipulée et paresseuse, juste bonne à proférer des opinions prémâchées ou déjà entendues, sans le moindre recul ni esprit critique. L’homme de télévision, humoriste et scénariste Bobcat Goldthwait, démolit sans épargner personne (y compris Woody Allen) un modèle de civilisation déjà mal en point, tout entier tourné vers son nombril : il n’est qu’à voir les déclinaisons de la bannière étoilée qui envahissent l’espace et l’écran pour s’en persuader. Et pourquoi au fond, ne pas avouer que Frank met en pratique ce que chacun a eu un moment ou l’autre le rêve secret de commettre : réduire à néant les cons malfaisants qui pullulent – même s’il ne faut pas perdre de vue qu’on est peut-être aussi le con malfaisant d’un autre. Après Superstar et Reality, voici un troisième film qui scrute les méfaits de la télé-poubelle et des promesses de célébrité et de fortune qui la fondent, mais God Bless America dépasse le cadre et joue avec bonheur et efficacité de la farce.
PatrickBraganti
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le 23 oct. 2012

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