La communication autour du film (affiches, bande-annonce) me faisaient craindre un film froid, austère et plat. Présupposés qui sont peut-être également la conséquence de certains préjugés infondés sur un cinéma polonais contemporain dont on ne connait généralement pas grand chose, et de la connaissance du contexte socio-historique "peu chaleureux" (euphémisme) dans lequel il se déroule (l'après seconde guerre mondiale en Pologne, sur fond de crime de guerre et d'antisémitisme).
Enfin, je me demandais comment cet "énième" film se déroulant dans le milieu des monastères trouverait sa place aux côtés d'autres films très réussis sortis assez récemment pour les avoir encore en tête, comme "Au-delà des collines" de C. Mungiu, ou "Des hommes et des Dieux" de Beauvois.

Quelle fût ma surprise en découvrant ce joyau ciselé qui frappe d'abord par sa photographie en noir et blanc brillamment audacieuse (preuve, s'il en fallait, que noir et blanc peut être non pas synonyme de platitude mais au contraire développer la créativité des chefs opérateurs qui en font le choix) : décadrages des personnages, qui apparaissant en bordure gauche ou droite du cadre, puis qui ne sont plus que têtes ou bustes amputés de tronc à la limite inférieure du cadre (Ida et le saxophoniste sur le balcon de l'hôtel). Diagonales. Angles audacieux. Etc.

Même les plus contrastés des plans sont éclairés à la perfection. Les silhouettes brunes des personnages se découpent, comme des petites marionnettes de papier de soie, sur la blancheur immaculée des étendues enneigées, composant des tableaux d'une beauté digne des plus grands photographes. Tableaux qu'on retrouve d'ailleurs chez la Tante d'Ida, "Wanda la Rouge" (couleur de son appartenance politique de "Camarade" tant que, symboliquement, de la liberté sexuée et passionnelle - jusqu'au bout - qu'elle incarne), au monastère, à l'hôtel que les deux femmes occupent… Cadres dans le cadre. Contrastes : Négatif/Positif. Brune/Blonde. Pute/Sainte. Quand le contraste de la photographie Noire/Blanche sert l'opposition entre deux personnages antagoniques.

"Simplicity, simplicity, simplicity! I say, let your affairs be as two or three, and not a hundred or a thousand; instead of a million count half a dozen, and keep your accounts on your thumb nail. (Simplicité, simplicité, simplicité ! Je dis que vos affaires soient au nombre de un, deux, trois et jusqu'à une centaine ou un millier. Nous sommes heureux en proportion de ce dont on peut se passer.)"

Si "Ida" était une citation, ce pourrait être celle-ci, tirée de Walden (Henry David Thoreau). Aucun plan n'est de trop, aucune parole n'est maladroite. Tout, autant que possible, passe par l'image- la parole ne vient l'éclaircir que quand cela est réellement d'une nécessité absolue - quelle délicatesse. Quel chic. Quelle modestie, aussi.

Loin du film glacial et glaçant d'une jeune fille, sur le point de prononcer ses voeux, qui part en compagnie de sa tante haute en couleur à la recherche de la tombe de ses parents Juifs, disparus dans des conditions que les deux femmes comptent bien éclaircir en chemin, Ida la blanche au contact de Wanda la rouge s'éveille à la sensualité (au sens étymologique, "plaisir des sens") et, avec douceur mais détermination, nous emmène avec elle sur les plaines polonaises faire mentir l'apparente placidité de ce visage angélique dans ce film certes noir et blanc, mais tout sauf gris.
bonitapplebum
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le 1 mars 2014

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