nov 2012:

Revoir ce chef d’œuvre en blu ray a été une expérience orgasmique dépassant l'entendement et donc toutes mes espérances. De bout en bout, la beauté visuelle des images, des couleurs, des décors, des lumières, l'exceptionnel don de Sergio Leone à imaginer des cadrages sublimes, la maitrise millimétrée du montage et l'invention géniale de ces acteurs dirigés de main de maitre donnent un spectacle hébétant, sans faille. Sans arrêt le film éclabousse le spectateur de sa classe. C'est un paroxysme qui n'en finit pas. Quand je parlais d'orgasme, je ne jouais pas sur les mots, c'est visuellement une excitation qui ne cesse de vous prendre et de vous bouleverser. Sourire béat aux lèvres devant cette œuvre monumentale. Certes, j'ai maints fois vu ce film (même au cinéma, dans les années 80, au "Festival", salle des boulevards bordeluches, lors d'une rétrospective Léone me semble-t-il), mais le travail fait sur ce blu ray pour en rendre toutes les subtilités visuelles, scéniques et sonores me sidère, à tel point que plusieurs fois j'ai eu l'impression délicieuse de voir un nouveau film. C'est là des sensations que je retrouve souvent en ce moment grâce au blu ray. Quoiqu'il en soit, rien que d'y penser, j'en frissonne encore de plaisir!

On pourrait faire l'erreur, tentante, de croire à une suite de scènes terriblement bien écrites, tellement elles paraissent d'un équilibre parfait, si on les prend individuellement et qui font preuve d'une vie propre, d'une telle cohérence que leur dépendance à l'histoire générale du film pourrait être réfuter. C'est un fait que de penser ou ressentir cela, mais cette idée doit selon moi rester à l'état hypothétique, car évidemment elles sont partie intégrante du récit et lui donnent une densité rare, à siroter pendant comme après le visionnage. Surtout, à la fin, la lisibilité du film nous a permis de ne pas voir les 2h55 passer.

De plus, cette histoire, cette épopée dépasse largement son cadre spectaculaire et divertissant pour développer un récit profond, ouvertement grandiose, quasi mythologique sur la thématique favorite de Sergio Leone, l'Ouest finissant, le bouleversement pour le far-west qu'a constitué l'arrivée massive des immigrants, la civilisation via le chemin de fer, avec tout ce que cela sous-entend de morale, de loi, d'ordre policier, de commerce, de culture, etc.

Qu'ils soient du côté du bien ou de celui du mal, les cow-boys ont les tempes grises. Les rides sont creuses, les plis de la peau signalent que le temps de la liberté totale est passé. Une certaine tristesse prend le pas, à moins que ce soit le souci de voir leur monde s'écrouler, dévoré par un autre, tout neuf, dont ils ignorent les outils... dédain de "race" comme dit Frank (Henry Fonda)? Ces cow-boys, cet Ouest libre meurent ensemble.

Celui qui incarne le mieux cette capacité à entendre cette fin du monde est peut-être Cheyenne (Jason Robards) dont le regard lucide est aussi plein de la malice des gens d'expérience, sûrs d'eux et de leur destin.
Celui d'Henry Fonda est froid comme un serpent : le cynisme, le sadisme de son personnage touchent au phénoménal. Sans doute l'un des méchants les plus cruels de l'histoire du cinéma. Leone a fondamentalement bien su mettre en scène ce summum de l'ignominie en filmant cette scène ahurissante où Fonda scrute le regard plein d'innocence d'un gamin roux (Enzo Santaniello). A ce stade on ne sait pas encore la crapulerie du personnage. Henry Fonda pour la plupart du public de l'époque représente ce qui se fait de meilleur sur le plan moral, c'est le héros de l'Amérique, l'homme bon par excellence, la figure du héros généreux, loyal, l'intégrité incarnée. Ce gros plan sur l'adorable marmot suivi par le sourire sadique de Frank (Fonda), son jeu du chat et la souris avec la question de savoir s'il le tue ou pas donnent au film une autre dimension, sans doute inégalée, de cette époque décrite, celle de la démesure, de l'inhumain, un véritable choc, un coup d'épée ou la brûlure d'un fer incandescent, choisissez l'image qui vous plaira, mon petit doigt me susurre que les deux sont valables.

Comme dans les précédents westerns de Leone, Ennio Morricone parvient à composer une partition très puissante, entrainante, dans l'accompagnement de l'action ou bien dans la sublimation des paysages et des cadrages. Je ne sais pas si cela a été dit par ailleurs (je doute que cela ne fut pas), j'ai souvent le sentiment que la musique de Morricone ne fait pas qu'accompagner, mais joue un rôle à part entière. C'est diablement et concrêtement audible sur ce film. Elle semble provenir des personnages eux-même (pas uniquement d'Harmonica joué par Charles Bronson), elle est comme une musique intérieure qui, à force d'ascension, déchire les corps et hurle son émotion jusque là intime, de façon de plus en plus tonitruante, magnifique.

Ce dernier qualificatif est aussi celui qui me vient à l'esprit quand je pense à la Cardinale. Déjà plus toute jeune, elle irradie constamment. Son front, plissé par le souci et la détresse, surmonte un regard noir, profond et d'une sensualité qui n'en finit pas de déborder. Le rôle n'est pas étincelant sur le papier, pourtant son personnage est primordial, au centre de toutes les attentions, l'enjeu principal. Elle s'en tire plutôt bien, même si je la préfère dans d'autres films. Elle est fracassante de beauté (je l'ai déjà dit, mais je ne peux m'empêcher de le répéter) à la fois fragile et forte. Son personnage de putain qui voit son rêve de paix, d'assise, de respectabilité sociale s'envoler est très émouvant. On sent qu'elle est à un stade de sa vie où il n'est plus question d'être le jouet des autres. Tour à tour, elle tente d'accrocher les hommes, mais elle est entourée de spécimen dont la catégorie ne s’accommode guère du concept matrimonial. Encore une fois, ils sont d'une autre espèce. Nouvel échec pour elle, nouvelle exclusion. Pourtant, il se dégage d'elle une puissance particulière, comme couvée, en gestation, qui ne demande pas grand chose pour prendre toute son envergure, celle de la femme indépendante. La pute est déjà au passé. L’Ouest crépusculaire change ses hommes et ses femmes itou.

Très beau film, visuellement et émotionnellement, un des plus grands films de l'histoire du cinéma. Tout court.
Alligator
10
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2013

Critique lue 646 fois

7 j'aime

3 commentaires

Alligator

Écrit par

Critique lue 646 fois

7
3

D'autres avis sur Il était une fois dans l'Ouest

Il était une fois dans l'Ouest
Sergent_Pepper
10

How the West was done

Songeons que ce film n’aurait pas dû voir le jour : après la Trilogie du dollar, Sergio Leone estime en avoir fini avec le western et se prépare à son grand projet, Il était une fois en Amérique...

le 15 sept. 2017

184 j'aime

57

Il était une fois dans l'Ouest
DjeeVanCleef
10

Il était une fois le Cinéma.

Tu sais, pour changer, aujourd'hui je ne vais pas faire ma Dalida, je vais te parler droit dans les yeux. « Il était une fois dans l'Ouest » n'est pas seulement le plus grand western de tous les...

le 20 oct. 2013

134 j'aime

13

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

121 j'aime

96

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime