C’est toujours un peu pareil, les films que l’on attend à un point sont généralement ceux qui nous déçoivent le plus parce qu’on s’en était fait des montagnes ou des rivières merveilleuses, on avait mis la barre très haut par rapport à nos attentes, à nos envies de cinéma, et cela toujours en fonction d’une bande-annonce biaisée, calculée, qui montre ce qu’elle veut, comme elle veut, pour nous vendre et nous convaincre d’un (possible) miracle. Celle d’Inception était un quasi court-métrage à elle seule, sublime et parfait, quelque chose d’assez monumental qui laissait complètement transi, malmenait nos ardeurs et nos impatiences depuis des mois et des mois.

On attendait, dans un souffle retenu, les yeux grands ouverts, un genre de révolution cinématographique, un incroyable thriller onirique capable de tout réinventer, de tout redéfinir, voire de créer sa propre mythologie. Nulle surprise en fait, mais un projet périlleux quelque peu figé, une partie d’échecs (le totem d’Ariane est la pièce du fou) en multiples dimensions dont la finalité n’apporte aucune hantise et aucun bouleversement. Le problème d’Inception, c’est sa morale en creux, son Rosebud de pacotille (déniché en un lieu qui rappelle le salon intemporel de 2001) qui prévaudraient ceux de tous les Disneys et de toutes les guimauves hollywoodiennes généralement conspuées : vis ta vie et sois toi-même, aie la foi, aime tes enfants et ton père.

Une telle ambition dans la mise en scène, conjuguant splendeurs esthétiques et puissances d’action à la James Bond (ou Mission : Impossible), une telle intelligence dans les moyens déployés, dans une intrigue adroitement élaborée (qui rappelle, entre autres, eXistenZ et The cell), maîtrisée de A à Z, pour finalement délivrer un message aussi stérile, à de quoi pleinement contrarier, et laissant lourd d’une désagréable sensation de vacuité, de tromperie. Non pas que l’art de la manipulation au cinéma soit critiquable en soi, bien au contraire, et ici il fonctionne sans répit et sans pitié comme dans Usual suspects ou Memento (Dom Cobb n’est-il pas, tout simplement et pareil à Leonard Shelby, à la poursuite de son propre pardon, de ses propres certitudes, d’une existence qui serait, enfin, apaisée ?), mais il y a quelque chose de très frustrant à offrir ainsi une résolution si triste, si consensuelle, et qui, rétrospectivement, transforme le film en un jouet qui s’est cassé, rompu par ses secrets.

L’autre défaut d’Inception est sa mise en place laborieuse (sans parler de la musique de Hans Zimmer, très belle au demeurant, mais qui sur-envahit chaque scène, s’impose à presque toutes les minutes du film et accompagne la moindre des séquences, la moindre des émotions sans leur permettre de fonctionner par elles-mêmes). L’exposition se développe pendant plus d’une heure (sur 2h30 de film) avec un déballage d’informations à assimiler à la vitesse de la lumière ; certes, il faut pouvoir installer les bases et les règles (complexes) du jeu (encore plus complexe), mais n’aurait-il pas fallu directement s’engouffrer dans l’action sans en révéler, sans en connaître les principaux mécanismes pour que le film soit davantage vertigineux, devienne un grand moment de métamorphoses et de chocs capables de subjuguer, et puisse se livrer à des questionnements plus passionnants et plus étourdissants encore ?

C’est d’autant plus regrettable qu’Inception, à plusieurs reprises, s’interroge justement sur les commencements, sur les déclenchements du rêve, sur cet instant si étrange, toujours impossible à déterminer et à décrypter. Le rêve nous transporte, nous place spontanément au cœur des événements, sans explication ni objectif, son origine et sa fin semblent se confondre, ne pas exister, ne pas avoir d’importance ni même d’utilité dans leur "logique" de cheminement cérébral. Ne pas donner toutes les clés au fonctionnement de la machine à rêve(s), c’est ce que Lynch avait fait (et réussi) dans Mulholland Drive et INLAND EMPIRE, créant ainsi des œuvres fantômes, protéiformes et inépuisables qui ne révélaient pas (jamais ?) leurs artifices, leurs profonds mystères.
Inception lui, malgré sa propension à intriguer, à s’entrelacer magnifiquement tel un puzzle réversible et sans fin (le film entier n’est-il pas un rêve de Cobb, déjà mort, perdu pour toujours dans un niveau inférieur aux limbes où Saito et Mall sont, eux, "prisonniers" ?), délimite trop son récit, balise d’entrée ses intentions (une boucle à fermer absolument) et désincarne toute émotion au profit de son seul dispositif titanesque (les personnages, à part celui de DiCaprio, sont très peu développés, de simples pions avec, chacun, une spécificité servant uniquement à l’avancée inexorable d’un scénario, d’un procédé tout puissant).

C’est en faisant fi de sa trop longue introduction et de sa piètre conclusion (à l’instar de The dark knight) qu’Inception révèle soudain toute son incroyable démonstration technique et scénaristique. Une fois les enjeux et les processus (longuement) échafaudés, assemblés, le film se fabrique, se créé alors par strates, par réalités irréelles, par architectures mentales et projections astrales (cette sensation de tomber en rêve pour pouvoir se réveiller), devient un immense et extraordinaire Rubik’s Cube dont chaque facette est un point de rêve (ou de réel) à déplacer, à rajouter, et enchaîne des scènes visuellement époustouflantes (toutes celles dans l’hôtel, qui se tourne et se retourne puis ignore les lois de la gravité, sont carrément grisantes) qui s’emboîtent et se disloquent entre elles tout en étant reliées à un même espace-temps (dans l’avion puis dans cette camionnette qui n’en finit pas de tomber).

Sa construction à la Pirandello (Six personnages en quête d’auteur), en escalier de Penrose (d’ailleurs cité et représenté dans le film), tolère tous les délires, tous les paradoxes. Les secondes se transforment en heures, les minutes en journées et les heures en années, le rêve est un rêve dans un autre rêve, et au-delà une zone intime et sombre sans plus aucune limite. L’esprit est un labyrinthe que l’on peut agencer, forger et (re)modeler à sa guise, y implanter des idées (définies par Cobb comme des "virus") pour en extraire ce qu’il y a de plus important (des informations utiles en termes d’espionnage industriel) ou de plus primordial (le souvenir d’une femme aimée, mystifiée, et de deux enfants aux visages oubliés).

Il faudrait rêver (à son tour), imaginer Inception débarrassé de ses scories, de ses tics hollywoodiens, et se donnant comme se donne Mulholland Drive, vierge et sans mode d’emploi, telle une énigme démesurée intriguant le spectateur plutôt que lui donnant des réponses attendues (le contenu du coffre, l’explication finale entre Dom et Mall). Bancal mais étonnant, Inception explore les vastes champs possibles du subconscient en se jouant des échelles physiques et temporelles, lancé à toute allure sur les traces d’un homme à la recherche d’une improbable vérité, d’une rédemption aussi, mais se heurtant aux glissements, l’un dans l’autre, du monde et de ses chimères. Que reste-t-il, que peut-il rester au terme de tous ces voyages ? Est-ce la vie, la mort ou un incommensurable néant ?...
mymp
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le 11 oct. 2012

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mymp

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