« Indochine » fut choisie pour clôturer le festival des lumières à Lyon, en présence de ses actrices phares, l’incontournable invité Catherine Deneuve mais aussi Linh Dan Pham, en compagnie du réalisateur Régis Wargnier. En voyant les avis toutefois, j’eu la surprise de découvrir, que malgré les nombreuses récompenses de ce film et sa bonne réputation, il avait des notes mitigées. J’avais peur alors que ce film soit trop long, très académique, un fond historique qui ne serait que prétexte à une romance étirée, que la beauté des images suffirait à peine à compenser l’ennui. Heureusement il n’en était rien…


Long, il l’est inévitablement puisqu’il dure 2h40, mais si mes jambes se plaignaient qu’elles voulaient s’étendre, je n’étais pas pressé de partir pour autant.


Indochine, alors colonie française. Eliane (judicieusement interprétée par Catherine Deneuve) est une jeune femme qui dirige une plantation de caoutchouc. Elle vient d’adopter Camille (Linh Dan Pham, elle aussi tout en justesse), dont ses parents viennent de perdre tragiquement la vie.
Pour éviter de souffrir, pour paraître fort, elle s’efforce de ne montrer aucune émotion.
Une maîtrise que n’a pas la jeune et candide Camille qui s’amourache d’un officier de la marine française. Ce dernier, bien qu’appliquant scrupuleusement le règlement, même lorsqu’il rentre en contradiction avec sa conscience, agit en tant qu’homme passionné, épris de liberté, et impulsif. Leur histoire, à l’heure des premières manifestations violentes contre les colons français, va devenir un symbole de rébellion et les deux se retrouveront mêlées au cœur d’un conflit entre les français établis depuis des décennies, et la population locale qui ne veut plus d’eux, soutenu par le courant communiste qui répand son influence.
Eliane n’est pas une mauvaise personne, puisqu’elle se montre compatissante et protectrice envers les habitants locaux qu’elle côtoie, s’est éprise d’affection pour sa fille adoptive, mais peut agir selon la situation de manière égoïste. Quand un de ses employés fuit, elle le bat. Quand Camille s’éprend de l’officier, elle l’éloigne ce dernier, soi-disant pour la protéger, mais probablement aussi par jalousie et vengeance envers cet homme qui n’a pas voulu rester auprès d’elle. Elle refuse les avances du chef de la police, mais a recours régulièrement à ses services.


Certes, les deux femmes aiment, ou ont aimé, le même homme, mais le film ne tourne nullement autour d’un triangle amoureux. C’est surtout le portrait d’une femme qui se veut forte et compatissante, mais qui s’avère aussi seule et insensible, agissant ainsi pour cacher ou combler ses blessures. Une femme qui voit le monde qu’elle a connu disparaître, et se retrouve confrontée à ses erreurs. C’est aussi l’histoire d’un officier qui se tourne contre ses supérieurs pour sauver une habitante locale, une histoire qui commence de façon insensée et qui perdure et se renforce alors que la femme devient pourchassée, dans un contexte d’émeutes violentes.


La France coloniale en prend un coup. Des hommes s’estimant légitime dans un pays qui n’est pas le leur, alors qu’inadaptés ils souffrent du climat et ne comprennent rien à la culture locale pour laquelle ils n’ont que mépris, manifestant la pire violence au nom du maintient de l’ordre. Affamés à cause des changements apportés par les colons et de la corruption des pouvoirs locaux, des centaines de paysans sont exploités comme des esclaves, par des hommes dont l’éloignement leur procure le sentiment d’impunité.
Ce n’est pas un film engagé sur cette période historique donnée, comme pouvait l’être « apocalypse now », mais le fond historique n’en est pas moins une composante essentielle de l’histoire.


Les décors sont naturellement très beaux, des rizières, des îles et des rives vertes envahit par le brouillard ou s’étendant à perte de vue. C’est aussi une mise en scène d’une autre culture, avec ses traditions, ses chants et son histoire. La première scène qui voit un cortège d’embarcations fendre l’eau à la force des rames, nous plonge instantanément dans un autre monde.


Il y a bien quelques défauts pourtant, qui expliquent peut-être ces notes mitigés. Les sentiments d’amour passionnels ou contrarié ont tendance à naître façon très rapide, et faute à un véritable développement, paraissent parfois un peu artificiel. Les réactions de certains personnages semblent parfois exagérés, à la limité du caricatural (le policier ivre de vengeance, l’ancienne amie de Eliane qui finit par lui en vouloir), sans que cela ne paraisse bien justifié. Tout ceci pouvant entraîner des difficultés à adhérer aux personnages et leur histoire.


Plus qu’une histoire d’amour, c’est plutôt l’histoire d’individus emportés par la tourmente et les soubresauts de l’histoire, dans une région en proie aux changements. Un film où la tragédie et la violence côtoient la beauté d’une nature lointaine, même si la lenteur ou le développement parfois maladroit des personnages en atténuent un peu la force émotionnelle.

Enlak
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le 18 oct. 2016

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