Tiens, encore un loser chez les frères Coen (pour changer). Enfin pas vraiment un loser, seulement un type qui n’a pas de chance avec le destin. Qui a la poisse tout le temps. Qui subit, qui prend cher. Le dernier en date fut cet imbécile de Larry Gopnik dans le brillantissime A serious man. Voici cette fois Llewyn Davis, chanteur folk dans les années 60 (inspiré du vrai Dave Van Ronk) en lutte contre les petites tracasseries de ce monde et les grandes contrariétés de l’existence. Squatteur et fauché, frustré et bourru, Llewyn traîne ses mitaines et sa gratte dans les rues glacées de Greenwich Village sans parvenir à se responsabiliser ou à faire les bons choix, les plus importants, les plus signifiants.

Llewyn tourne en rond, revient sans cesse aux mêmes endroits, dort sur les mêmes canapés : la bohème a pris des allures de bérézina. Il erre, avec ou sans matou dans les bras (celui de ses amis qui s’appelle Ulysse, clin d’œil un peu appuyé à sa condition de vagabond barbu), il tergiverse, il s’interroge, il bougonne. Apprend qu’il est père, se fait dérouiller, découvre à la fin un jeune frisé à la voix nasillarde (genre Bob Dylan) sur la scène du Gaslight. Quasi la routine… Nous pendant ce temps-là, on s’ennuie pas mal. Pas ferme, mais pas mal. On est en attente de quelque chose (un peu comme Llewyn d’ailleurs, ou cette pauvresse de Pénélope). Quelque chose qui se débloquerait, qui prendrait vie, se produirait dans ce scénario aussi mollasson que les rengaines folk entendues. Les personnages ne nous touchent jamais, restent des figures prisonnières de leur archétype, et sont parfois même désagréables (surtout les femmes, bizarrement, ex acariâtre ou sœur morale).

Seules les dernières minutes, avec un soudain retournement temporel, éveillent trop tard notre curiosité. En gros, après avoir tout raté, une sorte de seconde chance semble être donnée à Llewyn (tout ça pour ça, la belle affaire). Il y a quelques scènes réussies, dont ce trip aller vers Chicago avec un camé à cannes et un loubard pas très prolixe, et ce trip retour vers New York la nuit comme un long rêve négligemment inquiétant. Et il y a tout le décorum aussi : mise en scène maîtrisée, millimétrée, humour détaché, belle reconstitution d’époque, superbe photographie cafardeuse de Bruno Delbonnel, et Oscar Isaac bien sûr, investi, dégaine tranquille, de tous les plans, mais qui ne suffit pas à réchauffer ce film pris dans une congère. Un Coen en la mineur.
mymp
4
Écrit par

Créée

le 11 nov. 2013

Critique lue 1.9K fois

36 j'aime

7 commentaires

mymp

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

36
7

D'autres avis sur Inside Llewyn Davis

Inside Llewyn Davis
Sergent_Pepper
8

That’s all folk.

« Pendez-moi, j’ai défié le monde… » chante Llewyn dans la chanson qui ouvre le film. Tout est là, comme souvent chez les frères Coen, pour irrémédiablement condamner le protagoniste. Parasite,...

le 15 avr. 2014

141 j'aime

6

Inside Llewyn Davis
Socinien
7

Notes à benêt

Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes session 2013, Inside Llewyn Davis est en effet un très bon cru des frères Coen qui se déguste avec délectation : un film ironique, pluvieux et hivernal, ce...

le 26 mai 2013

79 j'aime

18

Inside Llewyn Davis
Torpenn
6

Les douze coups de minou

Il existe au cinéma une véritable esthétique de la moulasse, avec de très nombreuses variations autour de la moule au milieu du salon, quelque chose qui place le mollusque au niveau des losers...

le 15 nov. 2013

70 j'aime

22

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

163 j'aime

13

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25