« A tale of death, a tale of life »
Par Guillaume Orignac
Les corps souffrent beaucoup dans Into the abyss. On ne s'en étonnera pas, venant d'un cinéaste dont l'expérimentation du monde n'est pas affaire de regard mais plutôt de brûlures et de plaies. Au fil des témoignages qui constituent la majeure partie du documentaire, Herzog dessine patiemment une galerie d'afflictions, de genoux qui tremblent, de chairs déchiquetées ou de corps écrasés par un train. Quand le film descend dans les abysses suggérés par son titre, se lève ainsi une ronde de morts et de sang qui semble n'avoir plus de fin. Arrivé à ce seuil extrême des peines racontées sans affectation par les protagonistes face à la caméra, le film ne distingue plus l'infinie émotion qu'il a fait surgir de l'outrance produite par cette accumulation d'images morbides.
C'est qu'il faut prendre au sérieux son sous-titre : « A tale of death, a tale of life ». Comme souvent chez Herzog, la vie et son potentiel grotesque sont inextricablement noués au hiératisme pâle de la mort. En témoigne cette séquence où un des personnages raconte comment un coup de tournevis lui traverse la poitrine. Que faire ? Le retirer tranquillement et rentrer chez soi, sans un poing adressé à la terre ou au ciel. Encore plus tard, un homme lui tire dessus à bout portant mais le canon s'enraye. Voilà donc un survivant comme les affectionne le cinéaste allemand, un homme qui ne s'émeut qu'à peine d'avoir traversé un bout de mort, car les miracles sont ordinaires. L'horreur, chez Herzog, est toujours pétrie du même geste mêlant terreur, tristesse et l'éclat d'un rire rentré, ce que le film montre ici avec la rigueur et la simplicité de son dispositif. (...)
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