- JEUX D’ENFANTS

Chacun (mon petit frère et moi en fait), il y a quelques (…) années, à une extrémité de l’allée cimentée ; pas exactement sur l’allée, qui va servir de lice, mais à la frontière de celle-ci, sur la pelouse, chacun d’un côté ; un gros manche de bêche ou de pelle en guise de lance, un couvercle de lessiveuse pour bouclier. Chacun s’élance à toute vitesse, l’objectif étant de faire tomber l’autre en frappant le plus violemment possible le bouclier avec la lance improvisée à la façon des anciens tournois chevaleresques. Avec un peu de recul, ces jeux, inspirés par la vision d’Ivanhoé, auraient pu être assez dangereux …

Ivanhoé, en quatre morceaux de bravoure, réveille les mythologies de l’enfance : le tournoi, le siège du château-fort, le procès en sorcellerie et le jugement de Dieu.

Et toute une collection de noms, de lieux, d’accessoires, vient conforter cette mythologie,

le bouffon et l’écuyer,
le templier,
un cavalier noir, un blason,
les deux gentes dames, la brune et la blonde,
le banquet, le troubadour,
Robin Hood et frère Tuck,
la forêt de Sherwood,
les créneaux, le pont-levis, la herse, les douves, la barbacane,
le bélier,
les jets de pierre (laborieux) sur les assaillants (dans mon souvenir, c’était de l’huile bouillante),
les arcs et les arbalètes,
la sorcière, le bûcher,
la masse d’armes, la hache et le gantelet,
Jean-sans-Terre et Richard Cœur de Lion (qui n’apparaîtra que dans les ultimes instants, en deus ex machina)

(et l’association d’Ivanhoe / Robert Taylor avec la famille de Rebecca / Elizabeth Taylor permettra de payer la rançon pour le retour du souverain légitime face à l’usurpateur, aussi méchant que dégingandé).

On est dans le pur film d’aventures. Les combats sont bien réglés, en particulier pour le jugement de Dieu, haletant à souhait, ponctué par le galop des chevaux et par le choc des armes sur les boucliers, évoquant aussi bien les gladiateurs des peplums que les plus beaux duels de western. On est certes à des lieues des combats au sabre laser ou des sièges cocaïnés du Seigneur des anneaux - pas sûr que ce soit moins bien.

Et l'image en technicolor vit ses plus belles heures.

Et les deux héros, les deux Taylor, sont parfaitement adaptés aux rôles, aux archétypes qu’ils représentent – Robert Taylor, « l’homme au profil parfait », pourtant réputé acteur médiocre, pourtant un peu vieux pour le rôle, avec ses yeux clairs, sa voix grave et sa décontraction, revêt avec aisance le costume d’Ivanhoe ; Elizabeth Taylor, magnifique à vingt ans (mais elle tourne déjà depuis une dizaine d’années),d'abord dissimulé derrière un rideau, puis derrière un voile, éclatante de beauté, regard violet, charisme évident, en fausse sorcière ensorcelante est manifestement en train de construire sa propre mythologie.

Et le film s’intéresse même, sérieusement mais sans lourdeur, à l’obscurantisme religieux et à l’anti-judaïsme (de l’époque, ou de toutes les époques ?)

On pourra toujours se renfrogner.

On pourra toujours objecter que les films de cape et d’épée renvoient désormais à la préhistoire, que les dialogues ne sont pas très bons, que les comédiens jouent en fait assez faux, que les tentatives humoristiques (via l'écuyer bouffon) sont bien lourdingues, que le scénario est très peu fidèle au roman de Walter Scott qui lui-même se soucie fort peu de la vraisemblance historique, que le récit est vraiment très manichéen (et tous les méchant ont d’ailleurs des noms … français), que la morale est très moralement hollywoodienne (Ivanhoé va se marier avec sa fiancée blonde et officielle, la déesse brune va s’effacer et demeurer une icône, et l’amour-passion n’aura abouti qu’à un règlement de comptes entre les deux coqs), que l’arrivée finale de Richard Cœur-de-Lion tient du stéréotype, et que Robert Taylor était aussi un des plus fervents partisans du maccarthysme, de la délation , très ami avec Ronald Reagan, lui-même à l’époque comédien des plus médiocres …

Mais les enfants, et même les grands enfants qui ont su garder intacts leurs rêves de tournois et de châteaux, ne se soucient pas trop de ces choses trop sérieuses.
pphf

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