Les seules expériences que j'avais de cinémas dits sociaux étaient les films des frères Dardenne (auxquels je n'accroche absolument pas). Dolan, j'en avais énormément entendu parler pour Cannes 2014, et je décidai donc de le connaître un peu plus avant. Il semble que ses films soient toujours l'objet de débats pour ou contre. Mais je dois dire que j'ai été agréablement surpris par le premier que je vois.

On se fait assez vite à l'accent québécois, même si j'ai mis un bon quart d'heure à comprendre tous les mots. De plus, le format relativement court permet de rendre le film accessible (surtout pour des insomnies de fin de nuit).

La caméra de Dolan est par ailleurs très intéressante. On sent qu'il ne filme pas comme tout le monde, et qu'il arrive à attacher à un pitch sociétal une réalisation mûre, qui lui permet de se démarquer de vulgaires téléfilms sociétaux (là où Le Gamin au Vélo des Dardenne me faisait penser au téléfilm Famille d'accueil par exemple). J'ai retenu surtout ces plans où les personnages sont filmés seuls, alors qu'ils sont plusieurs dans la scène : le personnage est toujours à l'extrémité du plan, et son interlocuteur, lorsqu'il est filmé, passe à l'autre extrémité. On sait qu'ils sont tous proches, mais la caméra ne souhaite en voir qu'un seul à la fois. Comme pour signifier à quel point ils peuvent paraître seuls au milieu des autres.

Toujours quant à la réalisation, j'ai particulièrement apprécié les introspections et autres images furtives révélant les pensées d'Hubert. Succession de papillons accrochés au mur, images de fruit, image de sa mère en Vierge "mater dolorosa", etc. Cela exploite très bien le langage qu'offre le cinéma, un langage de l'image (que Godard est parvenu à atteindre sans sa pureté avec Adieu au Langage). Les ralentis, clins d'oeil à In The Mood for Love de Wong Kar Wai, sont également très pertinents, permettant, pour les plus érudits, de comparer leur rôle dans l'un et celui dans l'autre. Si dans le film hong-kongais, les ralentis étaient présents surtout dans les scènes de rencontres furtives ou d'absence de l'autre, chez Dolan, les ralentis accompagnés de ces violons presque identiques, dévoilent avant tout une profonde solitude, soit d'Hubert, soit de sa mère. Certes, on ne retrouve pas cette profondeur, cette intensité du ralenti de Kar Wai chez Dolan, mais bon, il avait à peine plus de vingt ans en 2009, on lui en demanderait déjà beaucoup... Et enfin, cela fait un bien fou de voir que certains réalisateurs ne rechignent pas à parsemer leurs films de textes poétiques, au risque de perdre les quelques illettrés en mal d'explosions et de sang !

Pour ce qui est du propos, je le considère vraiment exploité. Le conflit mère/fils est une réalité intemporelle, mais semble être très prégnant à l'heure où le fossé des générations s'accélère. Aussi, la situation des familles monoparentales soulève plusieurs remises en question, et Dolan a choisi de traiter l'Oedipe freudien. Normalement, le garçon serait censé tuer le père pour épouser la mère. Dans une image criante, Hubert manque sa mère en robe de mariée, qui le fuit. Cette scène se situe après qu'il l'a brusquée ; lorsqu'il avait l'amour de sa mère (qu'il refuse de reconnaître), il pouvait en disposer à sa guise, et donc en jouer. Dès lors que cet amour lui échappe, et que donc il a tué sa mère, le mariage est impossible. Dolan nous donne donc à voir un Oedipe manqué, un schéma complètement révolu dans une cellule familiale qui n'est plus idéale. Les introspections, l'espèce de confessionnal d'Hubert, montrent bien que le film se place de son point de vue, depuis sa conception des choses, et qu'on a donc presque affaire à une psychanalyse. (Et comme je n'estime pas vraiment Freud, et beh j'aime bien Dolan)

En somme, une bien belle découverte, et un réalisateur que je vais m'attacher à connaître mieux maintenant !

Créée

le 11 août 2014

Critique lue 428 fois

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Alexandre G

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