L’affiche même de Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare annonce la couleur, sans mentir sur le contenu de la fiction ; la fin du monde est proche. Les personnages attendent la fin, tout comme le spectateur. Qu'est-ce qu'une vie dont l'issue est programmée à l'avance, universellement? Et qu'est-ce qu'un film dont l'issue est connue dès le départ? Certes, de nombreuses
œuvres se sont amusées, depuis l’âge d'or Hollywoodien (pensons au film Noir dont les développements esthétiques sur le flash-back et la manipulation temporelle restent une référence majeure), à ouvrir leurs fictions avec la dernière scène du film. Mais le jeu était de voir comment la situation en arrive à là, et surtout, dans certains cas, parvenir à déjouer les pronostics. Ce cinéma du « destin » a été parfois applaudit, ou parfois critiqué, voir même parodié ou simplement remis en cause. Alfred Hitchcock, dans Vertigo, mais encore Chris Marker, dans la Jetée, ont montré que les déplacements temporels et le retour au passé ne peuvent changer les situations déjà présentes, que le déplacement soit allégorique, ou fantastique. Malgré ces remises en cause, le cinéma a pu laisser certains de ses personnages principaux maitres de leur destin, ou même les laisser s’en sortir par retournement et par chance. Pourtant, ici, rien de tout cela, pas une once d'espoir, ce que pourtant Melancholia, dont il s'affiche clairement comme l'antithèse maléfique, ou comique (sauf qu’à la place de Melancholia, la menace se nomme Mathilda), n'a pas hésité à faire : malgré son prologue, Lars Von Trier donne du répit au spectateur, et laisse croire à une issue favorable pour les personnages, durant une grande partie du film. Avec cette issue programmée et funeste, Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare n’entre pourtant pas dans le pessimisme, mais cela, on s'en doute avec un acteur tel que Steve Carell a l'affiche. Premier bon point de la production, tenter un "Melancholia comique", ou une comédie romantique avant la fin du monde. Quel bilan? Un quart d'heure de comédie Noire, 45 minutes de « Road Movie » avec à chaque étapes des retrouvailles ou rencontres insolites (Un malheureux qui a engagé des tueurs à gage pour le liquider, un flic qui prend son travail à cœur, un restaurant où les serveuses offrent des services sexuels, un ex qui pense être le guide d'une nouvelle race humaine), et 20 min d'attentes tendues et touchantes. Bref, il est bien difficile de rester
axé sur la comédie, et même le délirant Kaboom de Gregg Araki (l’histoire d’un groupe d’étudiant tentant d’empêcher un complot visant la destruction du monde) n'a pu
éviter d'entrer dans un registre pur de peur. Mais le ton reste léger,
et c'est l'épatant Steve Carell qui assure la transition. Un acteur au
talent incontestable, expert dans l'art de la déchéance, de
l'humiliation et de la pitié. Un acteur dont le flegme permet de jongler aisément d’un registre burlesque à un registre plus
pathétique et plus grave. Quel régal pour tout réalisateur. La gravité de la situation est toujours
atténuée par son sérieux imperturbable. Exemple, lors de la séquence
de l'enterrement du routier, le gag classique de l'oublie des clefs du
véhicule dans la poche du cadavre, vue et revue, mais, sans sur-jeu comique d’énervement,
Steve Carell n'attend pas de savoir si le spectateur rira ou non, et
se remet immédiatement a creuser pour récupérer les clefs. Plus de
peur que de mal, un contretemps scénaristique finalement inutile, puisque de nombreuses ellipses fluidifient le voyage de nos héros. Le
compte à rebours est superficiel, tout comme les péripéties
d'ailleurs: la jeune femme ne reverra pas ses parents, et le héros
rentre chez lui pour attendre la mort. En fait, la chose réellement intéressante du film, c’est la mort. Ou plutôt, comment une comédie
romantique Hollywoodienne peut bien finir quand elle est confrontée à
la mort. Effectivement, cela attise la curiosité. Va-t-on assister à une fin du monde drôle, "dans les toilettes" par exemple, pour reprendre la proposition du personnage principal de Melancholia?
La surprise comique, comme dans Kaboom? Ou l'apocalypse, tout
simplement? Rien de tout cela, en réalité. Ici, la fin du monde n'est
pas "montrée", jamais nous ne verrons la planète, si ce n'est sur
l'affiche, balayant ainsi toute la problématique du cosmos et de
l'immensité de l'univers questionné par Lars Von trier. Mais après
tout, que peut-on espérer d'un film commercial hollywoodien? Non, le
choix opéré reste le choix du cœur, de l'amour. Passer dans l'autre
monde avec ceux qu'on aime, le paradoxal "amour de sa vie" avec qui il
ne reste plus que peu de temps à vivre. Serait-ce donc de l'ironie, un
anti- Roméo et Juliette: eux ont choisi de mourir ensemble, nos héros
n'ont pas vraiment le choix, juste le choix de la personne. Alors est-ce que cet amour sera éternel? Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare s'accroche a quelque chose. A un espoir, un cinéma
n'attendant non pas la mort, mais en réalité attendant une
renaissance, un second souffle. Non pas que le box-office s'essouffle.
Mais le cinéma contemporain est malade, meurtri, apeuré,
autodestructeur. Avec son histoire d'amour avant la fin du monde, le
film tente peut être de laisser croire, malgré les apparences, à un
retour à l'authentique bonheur, un naïf bonheur, loin de la peur et la
paranoïa qui hante le cinéma des années 2000
Alain_Zind
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le 3 juin 2013

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