A lire sur Neocritics


Dans la lignée d’une tendance très prégnante de revenir à un cinéma impulsif et carnassier (Mon Roi l’an dernier en était le plus fier représentant), Xavier Dolan inscrit son nouveau film dans cette même volonté artistique, plaçant même cette impulsivité au cœur du récit d’un artiste retournant après douze ans d’absence dans sa famille, pour leur annoncer son prochain décès. A travers ce synopsis purgé de toute autre ambition que celle de faire un film au fort potentiel émotionnel, Juste la fin du monde s’inscrit pourtant comme le point de non-retour d’un cinéaste, voulant à tout prix plaire au public qui l’adule, et une critique plus réticente vis-à-vis de ses envolées musicales clipesques.


Dévitalisé est sans doute l’adjectif qui convient le mieux à ce nouveau film, tant Dolan, ne sachant s’il doit adapter ou réaliser, se contente d’un huis-clos au rythme désincarné où les monologues s’enchaînent lors de joutes verbales opposant le plus clair du temps un Gaspard Ulliel mutique et des membres d’une famille qui se plaisent à lui faire comprendre que son absence les détruit. Chaque personnage suffoque, en vient à quitter son habit de réception pour mieux respirer mais continue de manquer d’oxygène face aux cadrages constamment serrés du réalisateur. Mommy était profondément maladroit dans son utilisation du cadrage, et si aujourd’hui Dolan revient à une forme plus classique, l’idée d’enfermer ses personnages dans les bords du cadre perdure. Une technique agaçante, mais qui témoigne d’une obsession et éclaire tout de suite sur son choix d’adapter une pièce de théâtre. Il peut cadencer, comme dans un clip, ses scènes et son montage pour plus facilement laisser la parole s’exprimer. Mais elle ne s’exprime jamais, par un choix incompréhensible de faire bégayer chacun des protagonistes, de leur faire dit beaucoup pour pas grand chose. On sent très vite, et dès leur rencontre, que tout risque d’exploser sur la fin du métrage. L’inconvénient vient du fait que le metteur en scène oublie qu’il est au cinéma, et son inconstance dans le sujet qu’il adapte en fait un simple moyen narratif pour ressortir ses canons filmiques. Pêle-mêle, il traite de l’homosexualité, de la violence conjugale ou de l’addiction, et oublie tout le reste. Car Dolan, trop enfermé dans ce concept erroné qu’est « engueulade = émotion » oublie d’en faire vivre ses séquences. Elles s’enchaînent dans le montage, une succession de scènes qui n’ont parfois, comme si un rideau tombait sur scène, aucune liaison, passant de l’une à l’autre avec leur propre autonomie.


Pourtant, et c’est là le paradoxe, Dolan ne laisse aucun espace à quoi que ce soit d’autre que sa vision. L’acteur n’a pas le droit de sortir du texte, et le spectateur non plus. Il est interdit à tous de sortir de cette vision, de se mettre à l’écart et d’oser ressentir autre chose que ce qui est prévu. Ce n’est pas à son film que Dolan pense, mais à son public, qu’il veut absolument satisfaire en osant même lui resservir une scène de danse similaire à Mommy. Mais il n’y aucune passion qui s’en dégage, pour le sujet ou pour ses personnages, qui vivent en pilotage automatique jusqu’à en venir à créer une pièce de théâtre informe, en circuit fermé, qui se répétera à l’infini et à l’identique. Sans oxygène, mais aussi sans contrôle de son réalisateur, Juste la fin du monde est un film informe et de mauvais goût, sans la moindre proposition de cinéma, ne produisant qu’un théâtre filmé au casting usuel qu’on espérait révolu depuis longtemps.

Florian_Bodin
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Même au cinéma il y a des escrocs, Année 2016 - Cinéma et Le pire du cinéma en 2016

Créée

le 26 sept. 2016

Critique lue 485 fois

Florian Bodin

Écrit par

Critique lue 485 fois

D'autres avis sur Juste la fin du monde

Juste la fin du monde
Sergent_Pepper
5

Ma souricière bien-aimée.

Il y a quelque temps, quelque part : l’exergue du dernier film de Dolan l’affirme avec un brin de malice et de provocation : ses sujets sont toujours universels, et partant, toujours identiques. La...

le 22 sept. 2016

185 j'aime

6

Juste la fin du monde
EvyNadler
8

FAQ Xavier Dolan - Comprendre et apprécier Juste la fin du monde

Parce que je n'arrive pas spécialement à remettre toutes mes idées en place, parce que je n'arrive parfois pas à séparer le négatif du positif dans ce film, et surtout parce que je n'ai aucune idée...

le 22 sept. 2016

133 j'aime

12

Juste la fin du monde
takeshi29
9

Le film a bien failli être rebaptisé "Juste la fin de takeshi29"

Je ne vais pas faire long, non pas que je n'ai que peu de choses à dire sur ce film, tout au contraire, mais je suis simplement vidé, ravagé, "éparpillé par petits bouts façon puzzle" aussi bien...

le 9 oct. 2016

124 j'aime

39

Du même critique

A Ghost Story
Florian_Bodin
10

Laisser sa trace

A lire sur Cinématraque Nous avons tous perdu l’être aimé, dans la mort ou dans la rupture. Quand un couple se divise, ce n’est pas simplement une relation qui s’arrête, mais tout ce qu’elle a...

le 4 sept. 2017

22 j'aime

6

Monuments Men
Florian_Bodin
4

Art mineur

Depuis plus de cinquante ans, les films sur la guerre sont présents dans l'histoire du cinéma. Justement parce qu'ils servent, en général, à juger, critiquer, remettre dans un contexte ou même...

le 12 mars 2014

22 j'aime

Vanilla Sky
Florian_Bodin
9

The little things

Ce n’est pas si souvent qu’un remake soit pertinent et intelligent. Et qu’il soit en plus si bien pensé qu’il arrive à rester encore dans un coin de notre esprit quelques jours après le visionnage...

le 29 janv. 2014

19 j'aime

1