Oui, autant le dire tout de suite, Kick Ass est un film un peu intelligent, très cynique, plutôt fidèle à l’esprit des comics, qui a conscience qu’il joue avec certaines nouvelles règles de société tout en dépoussiérant le mythe du vigilante movie (quoique les personnages sont plutôt solitaires ici, il faudra attendre le 2 pour bien retrouver cet esprit d’équipe). Sa façade introductrice banale (le héros va en cours, a une vie insipide, se branle, a comme support culturel les comics…) ne cache en rien sa volonté d’inclure immédiatement le public dans son quotidien et de niveler un peu vers le bas son portrait très geek. La fibre geek constitue d’ailleurs l’essentiel de la motivation de Dave, qui finalement met un costume non pas pour sauver des gens, mais surtout pour imiter ses héros, tout en étant conscient de prendre une initiative « visionnaire ». Toutefois, imiter les gens bien, cela peut donner aussi de bons résultats (et ici, dans un contexte où la criminalité est quotidienne, la tentation de rendre soi même la justice est forte). Aussi, si Kick Ass est gentiment irresponsable, il évite de provoquer la mort de ses adversaires, contrairement à eux. La première altercation, très dure, place immédiatement le côté amoral du film, curieusement l’un des plus intéressants. En prenant directement un angle « méchant » et une violence réaliste, il cherche à instaurer une distance qui contraste bizarrement avec la volonté d’implication jusqu’ici exprimé. Finalement, l’amoralité n’est pas ambiante, elle rejaillit par endroits pour donner un effet montagne russe. Sans toutefois vraiment nous leurrer, car le film n’est pas impartial, loin de là. Il fait notamment usage d’un humour qui finit par vraiment agacer, car marquant finalement une grande tolérance pour le héros, s’amusant de la disproportion de certaines séquences plus que ne la dénonçant (c’est notamment le cas pour le jet pack, élément surréaliste qui apparaît essentiellement par coolitude, visant l’adhérence geek une fois de plus pour un gadget meurtrier et rompant le gentil réalisme qui avait été montré jusqu’à lors…).


L’humour donne aussi beaucoup dans le cynisme quand la maffia est exposée, comme en témoigne la séquence du micro onde, ou les régulières exécutions sommaires dont ils font preuve. La disproportion est également à l’avenant dans la violence, essentiellement avec le personnage d’Hit Girl. Sa scène d’introduction, véritable boucherie propre (les membres volent, mais seulement avec quelques éclaboussures), se déroule sur fond de rock’n roll, tout en donnant dans la frénésie meurtrière. Les comics provoquaient clairement le choc et cherchaient la surenchère dans la violence (finalement, c’était logique, la culture geek s’apparentant aussi à une jouissance du détail, y compris dans la violence), mais le film n’assume pas vraiment cette tendance gore trash, il cherche à minimiser un peu l’impact choc, tout en suggérant la jouissance avec la musique tapageuse. La violence est finalement atténuée dans son côté dérangeant, mais toujours connotée cool en forçant la complaisance avec le spectateur (qui ne peut pas alors se mettre à distance des actions perpétrées par nos personnages). Passées quelques lourdeurs (le running gag du basooka), Kick Ass surfe quand même sur des concepts intéressants dans notre actualité, comme la culture du buzz. Toujours connecté via youtube ou facebook (avec la pub du flash info pour sa seconde intervention), il s’appuie considérablement sur le support internet pour la propagation du phénomène, parvenant assez intelligemment à l’étendre dans toute la ville (et en face, l’exécution en ligne apparaît comme une réponse appropriée de la mafia). Et le cynisme constant du film touche là aussi des points sensibles. De simples détails comme le type qui percute Dave en voiture avant de s’enfuir sans donner l’alarme, la rumeur disant que Dave est gay, Chris fils de maffieux qui veut devenir lui aussi un héros sur le modèle de Kick Ass, essentiellement pour frimer avec des gadgets chers (très drôle séquence de patrouille où ils se prennent pour des super héros dans une voiture thunée)… Dans le monde de Kick Ass, les artifices et le clinquant sont les maîtres mots, avec pour consécration l’appellation « cool » (même le père maffieux essaye de l’être). Dans un tel contexte, des séquences comme l’exécution des gardes en mode jeu vidéo à la première personne (la séquence en vision de nuit) se révèlent tout à fait appropriées, célébrant un peu plus le côté geek du film et sa culture du jeu vidéo. Kick Ass est finalement une combinaison étrange d’éléments, propre à la culture geek, accumulant beaucoup de styles différents, et voyant parfois juste sous son angle cynique (sans pour autant dénoncer, il a juste conscience de son actualité et s’y conforme). Oubliant son irresponsabilité et sombrant par endroit dans une surenchère qui dessert la « banalité » recherchée (n’importe qui pourrait devenir un vengeur masqué, mais les gros moyens sur la fin ruinent le réalisme), Kick Ass est au final frondeur et bancal, qui laisse une impression étrange, de jamais vu, mais de moyennement maîtrisé…

Voracinéphile
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le 5 sept. 2016

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